En tournant le dos au rock, REM découvre de nouveaux horizons électroniques pour un album somptueux. Cette chronique est inutile. On sait que les albums de REM réclament un délai de maturation supérieur à la normale, interdisant les sentences bâclées. Ici même, un confrère se troua admirablement à propos d’Automatic for the people, album ô […]
En tournant le dos au rock, REM découvre de nouveaux horizons électroniques pour un album somptueux.
Cette chronique est inutile. On sait que les albums de REM réclament un délai de maturation supérieur à la normale, interdisant les sentences bâclées. Ici même, un confrère se troua admirablement à propos d’Automatic for the people, album ô combien réévalué depuis et qui pointe sans conteste parmi les rares vrais chefs-d’oeuvre de la décennie. Annoncé comme le successeur légitime d’Automatic après Monster et New adventures in hi-fi, pour lesquels un délai suffisant de réflexion n’a finalement jamais démenti la tiédeur des impressions initiales , Up se situe a priori dans le haut du baromètre de la production de REM. Seul le temps en déterminera la place exacte. Cette chronique est inutile, mais elle peut donner des indices. Le titre d’intro, Airportman, livre par exemple l’une des clés importantes de l’album : évidente référence à Brian Eno, l’homme des Music for airports, cette froide polyphonie de bruitages électroacoustiques sur laquelle Stipe pose une voix anormalement neutre laisse entrevoir une rupture assez franche avec le ton ouvertement rock des deux précédents albums. Up rend ainsi visibles des greffes directement prélevées dans ces réservoirs à chair sonore que sont les Before and after science, Another green world d’Eno ou les albums berlinois de Bowie la matrice de Why not smile est quasiment calquée sur Heroes et ramenées sur les terres traditionnelles de REM.
Amputé du batteur Bill Berry, dispensé de la ceinture de sécurité Scott Litt, REM réapprend à marcher de travers, sur trois pattes, en tournant le dos aux tracés confortables du rock adulte américain dont il a contribué à ériger quelques-uns des fondements. Tortoise et la faction expérimentale de Chicago, comme le regain d’intérêt général pour le krautrock teuton, ne sont visiblement pas tombés dans l’oreille d’un sourd : Peter Buck a même consenti à sacrifier partiellement sa collection de guitares vintage au profit d’un nouvel arsenal de machines d’obédience électronique, conférant à certains titres de Up un côté Autobahn for the people, comme un Kraftwerk qui aurait pris visage humain. Humain, parce que chez REM la machine n’est pas à la veille de rendre l’homme docile : vibraphones douillets, pianos et cordes, quantité de détails acoustiques trouvent leur place au soleil malgré le brouillard ambiant. Humain également, parce qu’il y a chez REM un facteur naturel indélébile qui s’exprime à travers le phrasé de Stipe. Ce type pourrait chanter n’importe quoi avec n’importe qui d’ailleurs, il l’a déjà fait , son timbre renverrait aussi sec à l’intimité de REM, à ses fondations trop profondément ancrées pour varier au moindre changement de la température extérieure.
Si le son de Up impressionne, c’est encore sur le terrain du songwriting et de l’interprétation que REM parvient à affoler nos instruments de mesure : malgré la prudence initiale, on est prêts à parier que Parakeet, l’époustouflant Falls to climb et la plupart des titres notamment les ballades capiteuses figureront au premier rang des bravoures relevées par le groupe depuis Murmur. Même dans le registre de la révérence At my most beautiful, dont la musique et le texte forment la plus vibrante pavane jamais adressée au Smile des Beach Boys , REM s’offre le luxe de sublimer ses modèles, voire de s’autosublimer (Daysleeper) lorsqu’il se choisit lui-même comme modèle. Up semble bien ce nouveau chef-d’oeuvre que les deux hits annoncés, Lotus et The Apologist, se chargeront de porter l’un par la force, l’autre en douceur aux oreilles du plus grand nombre. En attendant, on y replonge les nôtres.
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