Supernova. En 1969, des Noirs américains révolutionnaires ouvraient un espace musical sans frontières ni préjugés. Parue l’été dernier en Grande-Bretagne, cette excellente compilation aura donc mis douze mois pour traverser la Manche. A l’heure de l’Eurostar, c’est dire si les amateurs de Soul Jazz Records ont dû ramer ! Boutique spécialisée dans le vinyle, devenue […]
Supernova. En 1969, des Noirs américains révolutionnaires ouvraient un espace musical sans frontières ni préjugés.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Parue l’été dernier en Grande-Bretagne, cette excellente compilation aura donc mis douze mois pour traverser la Manche. A l’heure de l’Eurostar, c’est dire si les amateurs de Soul Jazz Records ont dû ramer ! Boutique spécialisée dans le vinyle, devenue label à l’initiative de rééditions de raretés des années 70 (Nu yorica, The Best of Banda Black Rio…), et désormais producteur (l’album du saxophoniste Chris Bowden), Soul Jazz est désormais la coqueluche londonienne, ville férue de disques noirs.
Et c’est dans la jungle de leur catalogue qu’ils ont la sélection d’Universal Sounds Of America.
En juillet 1969, les Américains marchent sur la Lune. Youpi ! La conquête de l’espace devient le fantasme des Etats-Unis dans sa majorité blanche. Les minorités, elles, ont d’autres réalités en tête, celles plus terre à terre d’un espace de liberté. Le napalm sur le Cambodge, les récentes émeutes dans les quartiers chauds de LA ou Chicago, la lutte pour les droits civiques, et par-delà pour un avenir sociopolitique décent. C’est dans un tel contexte qu’il faut écouter ces sons d’une autre Amérique, d’un autre jazz. Celui d’une esthétique résolument libertaire, sans doute marquée en pointillé par les délires pseudo-anar de la frange hippie, celle des futurs Bill Clinton. Dès le milieu des sixties, des collectifs se forment dont les plus fameux restent l’AACM de Chicago toujours en activité , le BAG de Saint Louis en sommeil ou encore le Big Bazar de Sun Râ. A leur suite, les autoproductions fleurissent, histoire de résister au retour de bâton de l’industrie du disque qui favorise l’essor d’un jazz-rock dont on connaît les limites intrinsèques. Car le jazz dont il est question ici ne pouvait bénéficier de la manne de producteurs en voie de pasteurisation.
Qui aurait pu publier les interludes visionnaires la musique électronique à petites touches de Moog et autres synthétiseurs du duo David Durrah et Doug Hammond, celui plus sobre du New Life Trio emmené par le chanteur et guitariste Brandon Ross ? Ou encore le Space odyssey du trompettiste Marcus Belgrave, le Kitty Bey du Unity du saxophoniste Byron Morris, les Lions of Judah de Steve Reid & The Legendary Master Brotherhood, tous en rupture avec la bienséance formelle ? Leurs musiques sont jouissives, baignées dans une atmosphère collective qui détone avec l’individualisation ou la démonstration. On joue plus que l’on ne se regarde jouer. Au diapason, le décapant Theme de Yoyo de l’Art Ensemble Of Chicago, extrait de la bande-son du film Les Stances à Sophie. Dans cette truculence créative, le planant Astral travelling signé Pharoah Sanders ajoute ses couleurs modales. Et puis, plus haut, plus loin, ailleurs, l’hallucinée profession de foi Space is a place du Solar Arkestra de feu Sun Râ décolle les oreilles vers un monde fantasmagorique, ivre de joie. Un espace qui transcende toute frontière. Nul doute, deux décennies plus tard, cette great black music-là, la seule qui unisse sons afro-cubains, soul, hard-bop, funk, R’n’B…, a traversé avec allégresse les vicissitudes spatio-temporelles.
Universal Sounds Of America (Soul Jazz/Média 7)
Jacques Denis
{"type":"Banniere-Basse"}