Déjà adulés ou copieusement méprisés pour des raisons douteuses, les Versaillais de Ph nix ont placé leur premier album, United, en tête des hit-parades de la polémique. Triste sort pour ces chansons au classicisme troublant et pour ce songwriting pop éduqué et malin. Comme dirait Jean-Michel Larqué, citant le grand philosophe ovalien Roger Couderc : […]
Déjà adulés ou copieusement méprisés pour des raisons douteuses, les Versaillais de Ph nix ont placé leur premier album, United, en tête des hit-parades de la polémique. Triste sort pour ces chansons au classicisme troublant et pour ce songwriting pop éduqué et malin.
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Comme dirait Jean-Michel Larqué, citant le grand philosophe ovalien Roger Couderc : les mouches ont changé d’âne. La post-french-touch a commencé et il paraît envisageable qu’après des années surproductives en matière d’électronique, les batteries montrent des signes de relâchement, qu’à nouveau le tout electro commence à lasser la galerie après l’avoir amusée pendant plusieurs saisons. Et comme toujours, quand une ère s’éteint, c’est la pop qui se réveille, tel un vieux dinosaure toujours prêt à ressasser sa merveilleuse histoire, à bégayer ses plus belles aventures, à renaître de ses cendres, lesquelles sont prêtes à redevenir aussitôt poussière d’étoiles.
Le quatuor Ph nix, à propos duquel s’élève de partout un cacophonique concert de louanges et de moqueries, n’a rien fait d’autre qu’un disque de pop-songs, à prendre tel quel, sans crier ni à la mort ni au miracle, à avaler telle une boîte de pilules euphorisantes, à chantonner sous la douche, à faire partager aux amis les plus cools. Que l’homme clé de Cassius, Philippe Zdar, en ait assuré le mixage ou que le Daft Punk Thomas Bangalter apparaisse dans les crédits ne change rien à l’affaire : il faut être sourd comme un pot, d’une mauvaise foi lamentable ou d’un snobisme rare pour considérer Ph nix autrement qu’à travers l’échelle de valeur la plus universelle qui soit, à savoir celle de l’écriture canonique couplet-refrain-pont-arrangements-mélodies. Sur le papier, Ph nix n’est ni plus ni moins qu’un cousin parigot et fort en gueule des modestes et provinciaux Tahiti 80 ou Orwell.
Dans les papiers qui leur sont consacrés, la mayonnaise est tellement montée qu’on les prendrait vite soit en grippe, soit pour des génies, selon qu’on est sensible ou non aux vapeurs de la branchitude. Donc, calmons le jeu. Sensation frivole printemps/été 2000 (pour patienter jusqu’aux collections Air et Daft Punk de l’hiver prochain), Ph nix a beau forcer tous les traits et empiler clichés et manières forcées, il est une chose qui en dépit de tout le sauve : ses chansons. Des chansons capables de trouer les culs les plus serrés, de soulever façon geyser les enthousiasmes les plus ramollis. Et si on avait 18 ans aujourd’hui, pas sûr que ces chansons-là ne changeraient pas notre vie, qu’on ne ressentirait pas l’envie irrépressible de s’en aller immédiatement prendre une guitare, pousser les amplis à onze et laisser monter la sève juvénile. C’est important, ça, les groupes qui provoquent l’envie, quand tant d’autres n’inspirent que pitié (les Dandy Warhols, au hasard). Un phénomène qu’on oublie ou néglige une fois qu’on a dépassé la trentaine mais qui reste l’un des moteurs essentiels de la pop-music, presque sa raison d’être, son assurance vie. Les membres de Ph nix sont tous dans la vingtaine, ils ont grandi dans le pire contexte musical possible (les années 80), alors qu’on leur pardonne de prendre aujourd’hui leur revanche, de battre en neige un peu bruyamment tous les archétypes du rock pour en faire leur quatre-heures et accessoirement leur quart d’heure warholien. Oubliez cette pochette hard-FM, faites fi des poses Stooges répétées devant la glace de la chambre d’ado, des interviews monosyllabiques, de cette nonchalance péniblement apprise à l’école Manchester, de ces noms trafiqués en pseudonymes d’apprentis stars qui se la racontent (Deck d’Arcy, Laurent Brancowitz, Thomas Mars Jr, Christian Mazzalai)… Oubliez ce qu’on vous dira sur leurs concerts (« ils sont nuls, même le groupe de la RATP est meilleur ») ou sur la façon pas forcément très orthodoxe dont s’est déroulé l’enregistrement de leur premier album. Surtout, chassez de vos mémoires la pellicule Spinal Tap que Ph nix, de prime abord, n’aura manqué d’y déposer, pochette d’album très Smell the glove comprise.
Oubliez ces considérations de gardiens de temples et laissez seulement, bêtement, agir autour de vos sens l’effervescence de Too young, If I ever feel better ou Embuscade, acceptez de marcher dans leur combine, de vous laisser bluffer tels des rejetons de la dernière pluie, comme si jamais vous n’aviez entendu parler de Edison Lighthouse, de Todd Rundgren, de Russ Ballard, de 10CC, de Steely Dan, de Teenage Fanclub ou de Urge Overkill, ces derniers étant leurs vrais héros revendiqués. United est un disque qu’il faudrait pouvoir écouter vierge, les oreilles nettoyées en profondeur par un coton-tige qui rendrait amnésique pendant 37 minutes, le temps météorique qu’il faut à ces dix bombes souples et funky pour faire sauter les plus lourds préjugés. Et pour rester dans l’artifice, ajoutons que Ph nix manipule d’authentiques grenades, tel le solo de guitar-hero qui pue, le saxophone mouille-slip, comme de sales garnements tombés sur un vieil arsenal d’une guerre que seuls leurs parents ont connue mais pas tout à fait inconscients des dangers qu’ils encourent. « C’est une attitude qui nous plaît, de faire des choses un peu abusées, rigole Thomas, chanteur. On est à la base d’authentiques fans de musique, on en a beaucoup écouté, on est passé par tous les stades, on subit donc également l’influence de musiques qui n’ont pas forcément la cote. Par exemple, on a beau être fans des Beatles ou des Beach Boys, il y a aussi des choses chez Billy Idol qui nous intéressent, même si l’ensemble est assez ignoble. »
Collectionneurs pervers, les quatre Ph nix accumulent les pièces rapportées, n’aiment rien moins que d’aller fureter dans l’arrière-cour du Panthéon, histoire d’en faire aussi les poubelles, de récupérer les épluchures, de laper les eaux usées, d’y laisser des graffitis. On reconnaîtra chez eux autant de réflexes Beatles que de tics Badfinger, autant d’harmonies divines à la Zombies que d’approximations pop FM telles qu’on en usinait à plein transistors dans les seventies. Une charade musicale vient à l’esprit à propos de Ph nix : ils furent le backing-band de Air pour certains lives à la télé ; Air a composé la BO de l’invisible premier film de Sophia Coppola, Virgin Suicides dans lequel on entend plusieurs hits des seventies (Rundgren, Heart, 10CC ou Gilbert O’Sullivan) ; c’est ce parfum-là que la musique de Ph nix tente de ventiler et de remettre au goût du jour. Cette effluve un peu épaisse et écœurante qui embaume de gaillards refrains appuyés par d’improbables synthés 75, ces chœurs bronzés d’apollons californiens tout juste rentrés de la plage (On fire), ces cuivres qui rutilent comme des gourmettes, et parfois une oasis de cordes qui remet tout d’aplomb, qui invite à la plus douce des baignades sous le soleil couchant. Au détour d’une incroyable fresque en trois parties (Funky square dance), ils affirment aussi un caractère méchamment trempé (dans l’acide et dans l’acier). Ph nix vomit les tièdes et déteste le kitsch, ça les rend immédiatement attachants. « Tout dans notre démarche est hyper sincère, on ne connaît pas le second degré, on l’atteint parfois sans le vouloir mais nous agissons avant tout de manière instinctive. Tout ce qui nous plaît, nous l’intégrons, sans nous demander si c’est autorisé ou pas. Le dernier cran à faire sauter, c’est celui du musicalement correct. »
A propos de Versailles, ce berceau tellement remué ces dernières années qu’il finirait par filer la nausée, Ph nix tape en (french) touche : « C’est un hasard complet si tous ces groupes sont arrivés en même temps. La seule chose qui puisse expliquer ça, c’est qu’au niveau frustration, Versailles est l’équivalent de Manchester. Il ne s’y passe tellement rien que ça laisse du temps pour rêver à la musique, puis pour en faire. »
Ph nix fait partie de ces groupes qui ont pensé à tout, qui ont fantasmé leur monde en 3D avant même de savoir tenir un instrument, si bien que leur premier album bénéficie déjà d’une maîtrise de jeunes loups, même s’ils finiront par avouer qu’un vieux requin (Janick Top) s’est glissé parmi eux et joue toutes les basses super chouettes du disque. Enfin, pour s’assurer de la folie furieuse de ces garçons, il suffit de jeter un œil à la première page du livret de United, celle où figurent les titres des chansons : le lettrage, la disposition des chiffres et les proportions ont été volontairement calquées sur les rééditions en CD de Bob Dylan. Des gens saisis de telles dangereuses obsessions ne peuvent pas être foncièrement mauvais.
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