Le cerveau génial des Specials fonctionne encore. Pour Banlieues bleues, le trop rare JERRY DAMMERS présente un show comique extravagant autour de Sun Ra. Et en plus, il parle.
On se doutait bien qu’il réapparaîtrait un jour ou l’autre. Près d’un quart de siècle après In the Studio, ultime album publié en 1984 sous le nom de The Special AKA – au terme duquel il s’est quasiment évaporé de la vie publique –, Jerry Dammers ressurgit par une fenêtre inattendue. Le directeur de Banlieues bleues, Xavier Lemettre, grand fan des Specials, a convaincu la plus célèbre arlésienne du rock anglais de venir présenter, pour la soirée de clôture du festival francilien, un spectacle donné en juin dernier à Londres et dont l’intitulé est déjà tout un programme : Jerry Dammers Spatial AKA Orchestra “Tribute to Sun Ra & Other Outsiders”. A la tête d’un big-band mêlant musiciens de rock, de jazz et de hip-hop, accompagné d’un décorum (costumes et masques) à la mesure de son extravagant sujet, l’ex-artificier des Specials tentera ainsi d’entrer en connexion avec le pharaon du jazz cosmique et de jumeler le temps d’un soir Bobigny avec Saturne. Après des années d’errance musicale où il officiait uniquement comme DJ mais pendant lesquelles l’empreinte de son génie n’aura cessé d’apparaître chez les autres – de Massive Attack aux Libertines en passant par Blur/Gorillaz –, Dammers a trouvé dans l’échappatoire du jazz mutant et transgressif une nouvelle aubaine pour faire montre de ses talents de fabricant de cocktails explosifs. Lui qui greffa il y a trente ans, sur le premier Specials, la gueule enragée du punk sur les jambes fourmillantes du ska. Lui qui combina ensuite sur un More Specials historique autant de pistes musicales qu’un groupe ordinaire mettrait une vie à arpenter. Lui qui fit d’un single (Ghost Town) le plus beau travelling sur l’Angleterre dévastée par le thatchérisme, et d’un autre (Free Nelson Mandela) l’étendard du combat planétaire pour la libération du leader de l’ANC embastillé. Restait le jazz, effleuré sur quelques passages de In the Studio, mais plutôt dans un esprit rétro, bien loin des avant-gardes dont Sun Ra, bien qu’en satellite, fut l’un des grands esprits.
“J’ai dû entendre parler de lui dès la fin des années 60, mais c’est au début des eighties que je l’ai vu en concert et que j’ai commencé à découvrir son œuvre, notamment Nuclear War. Plus récemment, alors que je tentais d’arrêter de fumer de la dope, ce qui était plutôt difficile, sa musique m’a beaucoup aidé à me relaxer. Sun Ra aura vraiment eu sur moi un effet thérapeutique, alors que je me sentais extrêmement agressif, notamment en raison de tous ces marchands qui faisaient pression pour que je reforme les Specials. Après m’être engagé dans ce projet, je me suis senti transformé.”
Si l’épine dorsale du concert est constituée d’une relecture du répertoire seventies de Sun Ra, avec un bivouac vers celui non moins féerique d’Alice Coltrane, Dammers y a toutefois inséré un Ghost Town relocalisé en Ghost Planet et ne s’interdit pas d’autres autocitations, comme un probable Intergalactic Jet Set, ni d’élargir son champ d’action vers d’autres beaux “outsiders” tels Moondog ou Cedric Im Brooks.
Il n’a pas non plus égaré dans l’outerspace ses préoccupations militantes, et la musique de Sun Ra lui semble porteuse d’une dimension allégorique éclairante : “Pendant que l’Amérique envoyait des gens dans l’espace, les Noirs crevaient dans la pauvreté. Sun Ra leur a montré qu’à travers sa musique ils possédaient eux aussi un moyen coûteux (sic) de s’élever, de conquérir d’autres planètes.” De Free Nelson Mandela au jazz libre, le génial Jerry renoue un fil sur lequel sa personnalité électrique pourrait encore produire de belles étincelles.
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Soirée de clôture du festival Banlieues bleues
Jerry Dammers Spatial AKA Orchestra “Tribute to Sun Ra & Other Outsiders”, le 18 avril à la MC 93, Bobigny
/// www.banlieuesbleues.org
Charles Lloyd Rabo de nube
ECM
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