Un magnifique coffret regroupe les cinq premiers albums solos de Scott Walker. Extrait de notre numéro consacré à Etienne Daho : ce dernier a particulièrement retenu « Scott 4 ».
C’est un album tellement riche, épais, un tel classeur à fantasmes et romantisme éperdu qu’un groupe anglais s’était baptisé en sa mémoire Scott 4. Nous n’avons pas ici la place de citer tous ceux qui ont reçu en uppercut cet album d’outrepassement : ça serait le who’s who du rock, de Bowie à Radiohead, de Pulp à Nick Cave.
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Nous sommes en 1969 et le Californien atteind le point d’orgue, le point d’ogre d’une vaste émancipation démarrée en 1967 avec Scott, premier album solo qui, déjà, le délivrait du triomphe hystérique de ses Walker Brothers. En deux annnées prodigieuses, en une vertigineuse accélération de sa propre histoire, en une libération documentée par les albums Scott, Scott 2, Scott 3 et Scott 4, Scott Walker se permettra tout, entouré par des arrangeurs possédés (Reg Guest, Peter Knight et surtout Wally Stott).
Il citera Staline, Albert Camus, Ingmar Bergman, Franz Kafka, Jean-Paul Sartre ou Jacques Brel à un public américain qui le connaissait en sensation teenage-pop, ajustant violemment sa musique à ses goûts, sa culture, ses désirs raffinés.
Si la transition passe, en grinçant et en frottant de plus en plus auprès de son ancien public, Scott 4 marque clairement le point de rupture. C’est son premier échec commercial, d’autant plus cuisant et violent pour lui qu’il intervient avec le premier album qu’il a entièrement composé et osé publier sous son vrai nom : Noel Scott Engel. La composition n’est pas alors une découverte pour Scott Walker : il avait déjà offert ses chansons mordorées aux Walker Brothers, singulières compressions de toutes les incompréhensions entre un homme, son statut, son pays, sa culture… Car Scott Walker a beau être en plein cauchemar avec ses Walker Brothers tournés en pacotille, monsieur rêve. D’un continent purement fantasmé – une vieille Europe qui n’existe pas plus que le Berlin de Lou Reed –, d’une grandeur et d’un romantisme qui hantent littéralement l’ambitieux Scott 4 et ses symphonies tremblantes.
Fresque à la musicalité prodigieuse et aux textes sous-estimés, cet album et sa défaite seront suivis d’un long repli, de l’un de ces silences dont l’Américain, exilé à Londres, possède depuis le secret. On l’entend chanter : “I was so happy/I didn’t feel like me” (“J’étais tellement heureux que je me sentais un autre”) ou “I’m not the world’s strongest man” (“Je ne suis pas la personne la plus forte au monde”), qui en disent long sur les ravages lancinants d’une incompréhension de plus en plus flagrante entre un homme et son époque. Scott 4 marquera donc officiellement le divorce entre Scott Walker et les hommes. On ne vous dit pas ce que les hommes ont perdu.
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