Dès 2000, alors que les codes du rap mainstream s’affirment, une poignée d’artistes sort de la boucle pour inventer autre chose. De TTC à Svinkels, le documentaire « Un jour peut-être » revient sur ce phénomène.
« Ce n’est pas une scène bien définie, ni une famille”, préviennent Romain Quirot et Antoine Jaunin, auteurs avec François Recordier du documentaire Un jour peut-être. “TTC, Svinkels ou La Caution n’étaient pas tous des amis et n’évoluaient pas non plus dans la même direction…” Cette difficulté à définir les contours de leur sujet reflète l’absurdité de la bannière “rap alternatif” sous laquelle étaient rangés d’office, dès 2000, des rappeurs qui n’avaient rien en commun, sinon de ne pas correspondre aux codes du mainstream bastonné par les radios. “Le terme ‘alternatif’ n’a pas de sens, nous avons donc sous-titré le docu ‘Une autre histoire du rap français’.”
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De nouvelles écritures rappées
Rewind. A la fin des années 1990, au fur et à mesure que le rap amasse les disques d’or (Arsenik, Fonky Family, Secteur Ä…), une esthétique mainstream se précise : verbe trivial, histoires de rue, boom-bap classique et sampling soul ou variété. En raison de l’excellence de nombreux disques, mais aussi de leur rentabilité, majors et radios cherchent alors à en pérenniser la formule, quitte à installer un règne des clones – voire des caricatures.
“Tout ce qui ne rentrait pas dans cette case était ‘alternatif’, note Romain. Si tu ne parles pas de rue ou que tes beats sont chelous, aucun label ne se risque à te signer.”
Une logique qui devait ostraciser en bloc les voix qui, autour du label De Brazza (Grems, Hustla…) ou de TTC (Klub Des Loosers, James Delleck…), testaient de nouvelles écritures rappées.
“TTC ou la Caution parlent d’une volonté de faire ‘autre chose’, commente Antoine. C’est une manière de traiter le même sujet, car ça reste du rap, des histoires, de l’egotrip, mais avec une culture musicale ou textuelle différente, élargie.”
Cet “autre rap” révèle en effet un ferment créatif inédit, des labyrinthes phonétiques de La Caution et Grems à l’ennui bourgeois de Klub Des Loosers, de l’hédonisme dance-floor de TTC aux festins electro de L’Armée Des 12 : sons, thèmes, attitudes, tout est nouveau. Mais, même dans la presse spécialisée, ce rap, bêtement réduit à la voix étrange de Teki Latex (TTC) ou à la couleur de Fuzati, demeure “du rap de Blancs pour ceux qui n’aiment pas le rap”.
Une équipe de francs-tireurs
Une vision binaire qui reflète surtout une incapacité à penser hors des canons, couplée à l’émergence d’une intelligentsia rap qui se cramponne à ses récents acquis. C’est là qu’est le sujet : à travers sa galerie de personnages (Gérard Baste, Grems, Teki Latex, La Caution…), Un jour peut-être ne documente pas une scène mais une époque clé. Où l’on revient au point de départ : TTC ou Svinkels n’étaient pas tant une alternative que les premiers symptômes d’un rap en mouvement, prêt à évoluer hors des dogmes que les premiers disques d’or du rap français venaient de cimenter.
En faisant entrer les manières baroques des indés américains, l’electro ou la house anglaise, ils ont ouvert une brèche, amené au rap un public qui y était étranger et ont pesé sur la suite. Aujourd’hui, les dingueries dance-floor à la Joke font partie des meubles, la couleur d’Orelsan ne dérange personne et les copulations electro/rap que préfiguraient les hérétiques Grems, ParaOne ou La Caution sont la norme. La richesse du rap actuel doit quelque chose à ces francs-tireurs qui, sans autre diktats que les leurs, voulaient que les culs sautent et que les cerveaux trippent à nouveau, qu’on se souvienne encore des rap-parties alors devenues des concours de bites convenus.
Documentaire Un jour peut-être de Romain Quirot, Antoine Jaunin, François Recordier (Cotone Productions)
Projections le 9 mai à Paris (Urban Film Festival, cinéma Etoile Lilas), le 17 à Metz (La Nuit des musées), le 20 à Annecy (Stereotype Festival)
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