Impayable prêcheur ou astucieux manipulateur, homme des années 80 ou visionnaire éclairé : impossible de trouver un Bono net dans les albums de U2.
Alors que sort début mars leur Pop, à la sobriété régulièrement séduisante, est-ce Bono ou bien Paul Hewson, enfant des rues de Dublin, qui nous reçoit chez lui ? Dans un entretien rare et intime, il oublie théories douteuses et langue de bois pour enfin avouer : il n’est pas fier d’avoir influencé la coupe de cheveux de milliers de footballeurs.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ouatre-vingt-dix-sept marque le vingtième anniversaire de la formation de ton groupe d’abord appelé The Hype et Feedback. N’as-tu pas l’impression qu’il t’a empêché de grandir ? Si, bien sûr, regarde ce que je suis devenu (sourire las)… Larry Mullen avait 14 ans, The Edge avait 15 ans et moi, 16… Nous en sommes restés là. Mais je ne m’en plains pas, c’est le prix à payer pour avoir connu toutes ces routes et déviations extraordinaires. Ce que j’ai perdu en chemin ne compte pas. Je n’ai jamais voulu une vie normale. Dès l’enfance, je me suis senti inadapté, handicapé moteur. Je n’ai jamais été capable de faire quoi que ce soit. Le seul travail qui m’ait à peu près convenu, c’était pompiste. Une bonne période : je bossais sans devoir réfléchir, ce qui me laissait beaucoup de temps pour penser à des paroles de chansons. Je travaillais de nuit, il n’y avait qu’un client toutes les dix minutes… Et puis il y a eu le choc pétrolier et la peur des restrictions : lorsque je me suis retrouvé avec des queues de voitures à la station-service, j’ai immédiatement arrêté. Mon père travaillait à la poste, où il m’a trouvé un boulot de postier pendant les vacances de Noël et même là, je n’étais pas très doué. Mais tous ces dysfonctionnements, qui m’empêchaient alors de travailler normalement, sont devenus un avantage dès que je suis devenu une pop-star. Mes défauts sont devenus des qualités.
Comment étais-tu considéré, adolescent ?
A 13 ans, je me considérais comme un haricot blanc. J’en avais vraiment l’allure : la peau blanche, couverte de taches de rousseur. Et puis, à 14 ans, j’ai commencé à prendre une forme humaine : un nez s’est mis à pousser, puis un menton, puis les sourcils. Je me suis alors regardé avec étonnement dans la glace et je me suis dit « Finalement, tu n’es pas moche. Tu n’es pas joli non plus, mais ça ira comme ça. » Car c’est à cette époque que les filles, comme les garçons, se sont mis à m’apprécier. J’étais bon à rien, mais pourtant la musique était pour moi la chose la plus facile et naturelle au monde. Quand je me promenais dans la rue, j’entendais en permanence des chansons dans mon cerveau, pensant que je les avais entendues à la radio. Et un jour, j’ai fini par comprendre qu’elles étaient à moi… C’était bizarre : le simple fait de lire Yeats m’excitait, sexuellement. Pour la première fois, je trouvais quelque chose facile.
Plus jeune, avais-tu accès aux livres, à l’art ?
Mon père était un drôle de type ce qu’on appelle, à Dublin, un Dub : un dur des quartiers nord. Il était complexé d’avoir dû quitter l’école très jeune pour travailler, surtout qu’il était intelligent. Il s’est donc éduqué seul, lisant Shakespeare et écoutant de l’opéra d’où ma haine farouche pour cette musique avec laquelle j’ai grandi. C’est assez commun, en Irlande, cette soif de culture : on peut rencontrer des chauffeurs de taxi spécialistes de la fission nucléaire, des barmans épris de poésie. Dans mon quartier, on me laissait lire mes livres si, à côté, j’étais un peu macho, un peu dur. Le maigrelet à lunettes qui lisait son bouquin sur un banc avait de grandes chances de se faire tabasser. Lire, c’était vraiment pas un truc de mec cool, c’était juste toléré. Curieusement, les deux copains avec lesquels j’ai grandi dans ma rue sont devenus des artistes : l’un est peintre, l’autre musicien. Ce sont Guggi et Gavin Friday, qui firent longtemps parti des Virgin Prunes. Gavin, avec ses vêtements bizarres et sa coupe à la Eraserhead, se faisait sans arrêt castagner. Mais personne n’osait se frotter à Guggi et à moi, nous étions plus physiques.
Ta mère était protestante, ton père catholique. Comment vivais-tu ce tiraillement dans une ville, Dublin, où beaucoup de choses sont déterminées par la religion ?
La famille de mon père n’était jamais conviée aux grandes réunions, aux mariages… Très jeune, j’ai décidé que je ne supporterais pas que ma religion soit un tel carcan. Je me suis vite éloigné de l’éducation religieuse traditionnelle. Et en ce sens, on m’a privé de quelque chose : je n’avais rien contre quoi me rebeller. Alors que tout écrivain, poète ou peintre irlandais qui se respecte l’est devenu par réaction à l’Eglise catholique. Ça donne une raison de se mettre en colère. Moi, il m’a fallu chercher ailleurs pour me rebeller contre des Goliath moins visibles. J’ai alors trouvé un ennemi plus intéressant : moi-même. C’est là que j’ai commencé cette lutte intérieure grâce à laquelle je gagne, aujourd’hui, très bien ma vie de fabricant de chansons.
Que cherchais-tu à tuer en toi ?
Je voulais me débarrasser de la banalité de ma vie de garçon des faubourgs. Je rêvais d’une autre vie ça n’avait rien de matériel, c’était plutôt spirituel. Dans mon gang, baptisé le Lypton Village, le côté matériel n’existait pas : dès que l’un de nous gagnait un peu d’argent, il le mettait dans la caisse commune. On prenait soin les uns des autres… Moi, j’étais toujours fauché, je dormais à droite, à gauche. Gavin Friday se souvient de moi déboulant systématiquement chez lui à l’heure des repas (sourire)… Nous étions considérés comme des tinkers, des sortes de romanichels. J’adorais bouger, changer de décor. Et même si c’est aujourd’hui dans des hôtels de luxe, je continue, je suis taillé pour cette existence. C’est ma principale qualité : être curieux.
Avais-tu peur de t’installer, de devenir un adulte ?
J’avais deux priorités : m’éloigner à toutes jambes dès que je voyais s’approcher les responsabilités comme j’avais besoin de très peu de choses pour vivre, ça n’a jamais été très difficile. Mon autre priorité était plutôt d’ordre patriotique : faire quelque chose de bien pour mon peuple, l’aider. Ce qu’Elvis aurait appelé « taking care of business ». Je suis à la fois totalement irresponsable et, pourtant, capable de me soucier d’autrui.
T’es-tu encore plus coupé du monde des adultes à la mort de ta mère, quand tu avais 14 ans ?
Ma mère est morte pendant l’enterrement de mon grand-père. J’ai, ce jour-là, perdu toute notion de foyer, de famille. J’avais toujours une maison, mais ce n’était plus chez moi. Et je n’aimais même plus cette maison… Ça m’a rendu agressif et odieux. Je me battais en permanence avec mon frère, qui a sept ans de plus que moi… Comme un bébé, je faisais des crises de nerfs. Récemment, j’ai vu un concert d’Iggy Pop et ça m’a rassuré : lui aussi est capable de piquer des crises. C’est finalement une bonne description du rock’n’roll : un gosse en crise de nerfs quand son corps lui demande de devenir adulte. La mort de ma mère a été un traumatisme et un tournant. Mon gang est alors devenu ma famille. Nous nous sommes inventé un monde de rêve, nous passions nos journées à faire des performances, quelque part entre Dada et Monty Python… On faisait des spectacles de rue avec des escabeaux et des marteaux-piqueurs, on détruisait des objets, mais toujours avec humour. Ensuite, j’ai formé un groupe une autre famille, très soudée. Je connais peu de gens avec autant de frères que moi.
C’est à cette époque que tu oublies ton patronyme, Paul Hewson, pour devenir Bonovox. Pourquoi ?
Nouvelle famille, nouveau nom… Ce n’est pourtant pas moi qui ai choisi ce nom, il m’a été donné par les amis du Lypton Village. Je me suis fait baptiser Bono Vox of O’Connell Street. C’était le nom d’une boutique de Dublin qui vendait des appareils pour malentendants (rires)… A cette époque, c’était un jeu, je ne pensais pas un instant tuer Paul Hewson. Mais je me rends compte aujourd’hui à quel point je souffrais alors de problèmes d’identité. Je n’étais ni protestant, ni catholique, ni classe moyenne, ni classe ouvrière. Car même si nous habitions un quartier très populaire, mon père avait une voiture, ce qui nous rangeait immédiatement parmi les richards de la rue. J’étais toujours entre deux chaises, pas très à l’aise. Comme un cheval avec un très long cou ni cheval ni girafe.
Qu’est devenu Paul Hewson ?
(Silence)… Comme dirait McCartney : « Paul is dead. » Quelques personnes continuent de m’appeler Paul. Ça me trouble à chaque fois, car mon père est sans doute la seule personne à ne jamais avoir oublié mon vrai prénom. Ce nom, Paul, me fait surtout penser à mon père. Car le haricot blanc, moi, je l’ai complètement oublié. Mais c’était un bon gosse, je l’aimais bien. Malheureusement pour moi, Bono est beaucoup plus compliqué que Paul. Paul était calme, réservé. A cette époque, à 11 ans, je jouais beaucoup aux échecs j’ai même participé à plusieurs tournois internationaux. Je ne rêvais que de ça : devenir un professionnel des échecs. Dans notre rue, c’était très mal vu : une activité de fayot. Ça n’impressionnait pas du tout les filles. Jouer de la guitare électrique, c’était autre chose. C’est sans doute pour ça qu’à 14 ans, je suis passé des échecs au rock’n’roll.
On a beaucoup de difficultés à t’imaginer renfermé, timide.
Il y a pourtant beaucoup d’inhibitions. Si j’avais eu confiance en moi, si je n’avais pas été timide, je n’aurais jamais rejoint un groupe de rock. C’est un refuge pour les handicapés de la vie. Il faut vraiment avoir un énorme problème affectif pour réclamer chaque soir l’amour de cinquante mille spectateurs, avoir besoin de cette passion pour se sentir bien. C’est vraiment triste que j’en sois arrivé là. Et pourtant, à côté de ça, je peux être très sûr de moi, arrogant. C’est parce que je viens de Dublin plutôt que de New York, Londres ou Paris. Il faut avoir une attitude pour ne pas se faire marcher dessus quand on débarque d’Irlande. Et aussi parce que je suis toujours sur la défensive. Je suis conscient du fait que ma voix n’est pas faite pour le rock… En vérité, j’ai une voix de gonzesse. Alors j’ai dû inventer un personnage, Bono, pour créer le lien entre ce que je suis vraiment et le public. J’ai besoin de ce personnage pour me protéger car au fond, je suis très vulnérable.
Tu as toujours eu recours à ces personnages. Au début, il y en avait un qui s’appelait The Fool, Le Bouffon. Remonte-t-il parfois à la surface ?
Il a été mon premier personnage, j’avais 17 ans. A l’école, en lisant Shakespeare, je me suis rendu compte qu’à la cour du roi, il existait un bouffon qui pouvait tout se permettre, au nom de l’humour. Je trouvais que ce serait amusant dans un groupe de rock. Mais c’était impossible au sein de U2, la musique est restée très longtemps sombre et mélancolique. Etre sérieux était un devoir : il fallait réagir aux années 80, à cette impression que la musique était de virée dans une soirée mondaine, dans un cocktail. C’était Wall Street, la douce musique des caisses enregistreuses, les material girls. C’est pour ça que nous sommes devenus ascétiques, photographiés dans le désert… On s’est mis à jouer cette musique pseudo-religieuse qui, au fond, n’était pas du tout pseudo : on croyait vraiment ce qu’on disait. Quand nous avons appelé Anton Corbijn pour nous photographier dans le désert, il n’a pas photographié U2, il a photographié notre musique : les gens ont alors commencé à penser qu’on était aussi sérieux que notre musique. Alors qu’entre nous, on n’arrêtait pas de se vanner les uns les autres. Sur scène, quand je me surprends à escalader, à me jeter dans le public, à me bagarrer bref, dès que je me couvre de ridicule , je sens que The Fool est de retour. Ça ne me dérange pas de faire l’andouille. Mais si les gens veulent du cool, on leur en donnera. Seulement, je sais que mon c’ur, lui, ne sera jamais cool. Le sang continuera de bouillir.
Es-tu parfois en paix avec toi-même, la lutte s’arrête-t-elle à l’occasion ?
Je me suis battu contre l’hérédité, contre mes gènes et je n’ai pas l’impression que j’en ai fini. Je suis en travaux (rires)… Je devrais être bien quand ce sera terminé. A 60 ans, je serai vraiment un mec bien, achevé. Pourtant, aujourd’hui, je ne cherche plus à régler mes problèmes. Je me surprends même à m’amuser de ma confusion, de mon chaos.
Cette confusion vient-elle de la religion ?
J’ai toujours été très clair en ce qui concerne la religion : pour moi, elle n’est que le Temple une fois que Dieu a plié bagage. Je crois en Dieu, mais pas à la religion. Une fois, dans des toilettes, j’ai lu un graffiti qui disait « Dieu est mort, signé Nietzsche. » Et juste en dessous, une autre main avait griffonné : « Nietzsche est mort, signé Dieu. » C’est, pour moi, l’histoire même de notre siècle. Pendant un siècle entier, on a essayé d’empêcher les gens de toucher au spirituel… C’est pour ça qu’on s’est jeté à corps perdu dans la peinture, la musique.
Tu as, pendant des années, fait partie de Shalom, un groupe de réflexion chrétien. Y as-tu finalement trouvé ce que tu cherchais ?
Je n’arrêterai jamais d’échanger des idées. Je suis un pèlerin, je continue de chercher, de lever un peu du voile qui recouvre les pourquoi, les comment, les où, les quoi… Ça fait rire les gens de ma génération mais je suis trop curieux pour ne pas fouiller. J’ai beaucoup appris de Shalom, bien qu’il n’existe pas de réponses définitives. Shalom, c’était un peu comme des communistes chrétiens, ils vivaient de rien et partageaient leurs revenus. Pour moi qui adore lire et étudier, leur présence était merveilleuse… Toute mon écriture vient de là : de l’étude de la Bible en leur compagnie. J’adore le langage de la Bible. David le Psalmiste est, pour moi, le premier bluesman de l’histoire. Il se mettait en colère contre Dieu, l’interpellait… Il m’a toujours passionné. Partout, j’entends des David le Psalmiste : « Si Dieu existe, pourquoi ne fait-il rien ? » Mais ça n’ébranle pas ma foi.
As-tu parfois l’impression que tes doutes métaphysiques sont une façon d’oublier des plaies plus intimes ?
Tout le reste se passait bien. Notamment avec les filles. Là, non, je n’ai jamais eu de problème. Alors que mes copains en étaient encore aux questions et aux doutes, j’avais déjà de l’expérience. J’ai toujours aimé les femmes et elles me l’ont bien rendu. Elles ont été mes amies, mes amantes, ma femme, mes filles.
Tu n’as jamais été attiré par les hommes ?
Non, là, vraiment, ça ne m’est jamais arrivé (rires)… Les femmes n’ont jamais cessé de me fasciner alors que j’ai tendance à trouver les hommes lassants, ennuyeux. Sans doute parce que j’ai toujours été un homme à hommes, toujours populaire… Dans le travail, je ne vois que ça : des hommes, des hommes, des hommes. J’aurais tant voulu avoir une s’ur je crois que c’est ce que j’ai le plus cherché chez les femmes… Et aujourd’hui, je continue de combler ce vide dans ma vie, avec ma femme et mes deux petites filles.
Comment êtes-vous parvenu à préserver cette vie privée malgré votre statut ?
Personne n’a jamais rien su de la relation exceptionnelle qui m’unit à ma femme. Il y a eu des hauts et des bas, mais ça n’est jamais sorti de chez nous. Notre idée était de devenir des rock-stars, pas des célébrités. La célébrité n’a rien à voir avec le rock et elle est très facile à contourner : il suffit d’éviter certains endroits, de rester à Dublin… C’est ma retraite, où je viens me reposer après m’être amusé un peu avec la célébrité, que je considère comme un hobby, un boulot à quart-temps. C’est un jeu marrant, mais c’est aussi une drogue, dans laquelle j’ai vu sombrer quelques amis. Ils pensent qu’ils cessent d’exister le jour où ils n’apparaissent plus dans la presse populaire.
Est-il impossible pour toi d’être prétentieux et arrogant à Dublin ?
Distribuer des gifles est une des spécialités de Dublin. Sur le nouvel album, il y a une chanson qui s’appelle Mofo, où je chante « Maman, est-ce que je suis toujours ton fils ? Ça fait si longtemps que j’attends que tu me le dises. Maman, tu es partie et je suis resté un enfant, auquel personne ne dit jamais non. » Sur mon répondeur, en rentrant, j’ai trouvé dix messages de copains qui me disaient « T’inquiète pas, on sera là pour te dire non. » J’adore sortir de Dublin, de cette impression d’étouffer, mais j’ai aussi besoin d’eux pour me ramener sur terre à la fin d’une tournée.
Pourquoi t’es-tu immédiatement senti en famille avec les autres membres de U2, il y a vingt ans ?
Nous avons tout de suite senti que nous possédions quelque chose d’extraordinaire. On ne savait pas jouer de nos instruments, on était incapables de faire une reprise et pourtant, très vite, il s’est passé quelque chose de magique entre nous. Et quand nous sommes devenus U2, en 78 ou 79, nous étions déjà invincibles : personne ne pouvait plus nous en dégoûter, nous décourager. Pour la première fois, nous nous sentions bien, à notre place. Nous étions en colère, nous voulions en découdre avec la terre entière. Les autres recherchaient une forme d’acceptation sociale mais moi, je recherchais quelque chose de plus arrogant : je voulais faire quelque chose de ma vie, m’élever. Car j’étais vraiment comme les autres gosses, je n’avais rien de spécial à offrir. Je ne suis devenu quelqu’un qu’en rencontrant les autres musiciens de U2. Hors du groupe, je ne compte pas. C’est notre collectif qui est exceptionnel : moi, je n’étais même pas chanteur, je ne savais pas écrire… Nous étions plus jeunes que REM ou que les Rolling Stones à leur époque, nous étions des enfants. Ça explique beaucoup de nos maladresses, de notre gaucherie : nous avons grandi en public, mais nous avons appris tout ce qui compte ensemble, exploré le fond avant d’explorer la surface des choses… Nous étions idéalistes, nous n’étions pas comme ces groupes qui démarrent à 25 ans avec un seul but en tête : se taper des filles. Nos aspirations étaient plus élevées, rien ne nous paraissait impossible. Le danger, c’est que ça a toujours fonctionné, si bien que nous avons fini par effectivement croire que tout était possible.
As-tu parfois honte du Bono des années passées ?
Je dois confesser une énorme honte : mes coupes de cheveux. Au milieu des années 80, j’ai influencé des milliers de footballeurs de deuxième division et des bataillons entiers de roadies avec mes cheveux longs derrière et courts devant (rires)… C’est la seule chose que je regrette vraiment. Mes comportements ridicules sur scène, ce côté cru et obscène ne me font pas du tout honte. Au contraire : ça me plaît. La crédibilité, je m’en fiche. Nous ne l’avons jamais cherchée. La plupart de nos contemporains ont été prudents, sages, je les ai vus se payer une crédibilité, endosser la mythologie de l’autodestruction, toutes ces conneries… Moi, j’ai toujours voulu être dans un grand groupe. Ces histoires de crédibilité, ce n’est qu’une corde pour se pendre. Ce qui a tué la musique anglaise dans les années 80. Où sont passés les Smiths ? Noyés dans leur quête de crédibilité. Ils ne voulaient pas sortir de Manchester, ça les a tués. Pareil pour Clash : tués par la crédibilité. Oasis a retenu la leçon : eux, c’est vraiment « Fuck credibility ». Ils sont notre suite logique, se fichent de leur image, de leur réputation. Nous avons voulu dégonfler tous ces groupes de rock qui font semblant d’être authentiques. Nous, nous avons dit : dégageons tout ça ! S’il existe un côté répugnant dans notre ambition, regardons-le en face. Nous nous sommes donnés en spectacle. Il existe cette expression, en Irlande, « making a show of yourself » : les gens se soûlent dans un bar et commencent à se battre ou à raconter des blagues pas drôles. C’est ce qu’on a fait. Derrière ça, il y avait du courage, le désir de s’en prendre à toute cette mythologie. En Angleterre, nous avons été pendus haut et court pour avoir été un groupe qui voulait faire une grosse musique avec de grosses idées, pour avoir voulu être un gros groupe comme les Beatles, les Stones, les Kinks ou les Sex Pistols. Mais c’était interdit par la loi de la crédibilité. Jusqu’à ce que de nouveaux groupes se pointent et qu’une nouvelle génération arrive en disant « Nous, si on sort pour voir jouer un groupe, il faut qu’il nous fasse exploser la tête. » Soudain, les gens ont commencé à regarder U2 et à se rendre compte que c’était ce qu’ils voulaient depuis le début. Et ça nous avait manqué. Eh oui, on est très sûrs de nous, on s’est mis le feu à nous-mêmes et… c’était un bûcher ! Le bûcher des vanités ! En vérité, on mettait le feu non pas à nous-mêmes, mais à nos fantômes ou à nos démons. Une délivrance pour moi. Il y avait une grande puissance dans le gigantisme de Zoo TV. Avec prétention, peut-être, je considère qu’on a appliqué le principe du judo : utiliser la force de l’adversaire pour se défendre.
Avez-vous réussi ?
A la fin, on était toujours debout. Et on n’avait pas usé tellement d’énergie. Le titre Achtung baby sonnait peut-être comme une mise en boîte, quelque chose d’ironique, mais la musique était fidèle et honnête, les chansons tout à fait pures. C’est l’idée d’Oscar Wilde : le masque qui révèle l’homme. Ça ne parle pas que de nous d’ailleurs, ça s’applique à ce qu’est devenu le rock’n’roll. En apparence, Hold me, thrill me, kiss me, kill me (morceau composé pour Batman 2) semble flash et trash. Pourtant, dans les paroles, il y a ce moment où je dis « A la fin, les gens veulent que tu meures sur la croix à 33 ans. » Ça signifie : « Prends l’argent, les images, les journaux. Mais si tu ne te surpasses pas, on veut être remboursés. » Et on voit le résultat : ce carnage autour de nous, Kurt Cobain et tout le reste. Ce n’est pas qu’on écrive délibérément sur ce sujet. Si on essayait, les gens ne voudraient même pas nous entendre. Mais il se peut qu’en décrivant ce qui se passe dans nos vies, en essayant de nous demander si c’est juste de prendre du plaisir à être dans un gros groupe, on ait décrit la situation dans laquelle se trouve le rock’n’roll aujourd’hui.
Votre nouvel album, Pop, est un catalogue de la musique du moment. D’une certaine façon, les Beatles ont fait ça à partir de 1967-68 : ils prenaient le rock psychédélique, le blues, tout ce qui était à la mode et en donnaient leur version.
Nous ne cherchons pas à être écrasés par toutes ces influences, mais à les documenter. Voilà le monde où nous vivons, voilà ce que j’écoute à la maison, dans des fêtes, quand je descends dans notre club ou quand je suis dans ma cuisine. Tout ça jaillit jusqu’à moi. On croit tellement en notre propre force qu’on peut embarquer toutes ces choses à bord sans qu’elles nous écrasent. Les Beatles faisaient pareil. Nos disques sont tous des documents. Si les gens s’intéressent à certaines idées qui ont eu cours dans les années 80, ils peuvent écouter The Joshua tree, qui exprimait une partie de cette époque, l’envers du côté material girls… Dans les années 90, nous sommes devenus plus honnêtes, d’une certaine façon. Notre musique distille beaucoup d’influences très disparates. Pour moi, Discothèque est un cocktail de choses qui ne devraient pas aller ensemble, une espèce de punch qu’un étudiant aurait concocté pour une fête sans vraiment savoir ce qu’il faisait. Ça prépare les gens pour le reste de l’album en les soûlant d’entrée de jeu.
On n’avait jamais senti U2 autant à l’affût des nouveaux sons, presque angoissé à l’idée de rater une mode.
C’est vrai qu’au début on a été un peu méfiant vis-à-vis de la dance-music. Sans doute parce que les Irlandais sont mauvais danseurs. Moi, je suis plutôt du genre à danser allongé (rires)… Pourtant, c’est ma culture de base : j’écoutais Parliament avant de découvrir Clash. Mais pendant des années, je n’ai pas eu le droit d’écouter cette musique, c’était presque inavouable… Ça a mis beaucoup de temps à pénétrer nos défenses. C’est le problème de la musique blanche, pas seulement celui de U2. Grunge, punk, etc. : musiques de wasps, où la soirée se finira sans sexe. On n’a que la brutalité, la colère… Le hip-hop, lui, sait toujours, même en rogne, remuer ses hanches. Mais on vit avec, je ne veux pas que U2 devienne un groupe de dance. Qu’est-ce que je ferais d’une boîte à rythmes alors que j’ai Larry Mullen derrière la batterie ? Pop n’est en aucun cas un disque de dance-music. Si les gens dansent sur Pop, ce sera à la maison, pas sur le dance-floor.
Pour la première fois, il y a quelque chose de très subtil et de réservé dans ta façon de chanter : une délicatesse et un détachement nouveaux.
J’ai senti que les paroles venaient très bien. Travailler avec The Edge comme conseil m’a aidé : il m’oriente toujours vers plus de réserve. Quand on écrit, on aime se relire, se corriger, récrire. On n’en avait jamais eu la possibilité. Je passais la plupart de mon temps sur les mélodies, sur les parties de batterie, de basse, de guitare. Et je me mettais à chanter au moment où on en avait presque fini avec la chanson. Je chantais un premier jet et… ça y était. Beaucoup de chansons de U2 sont inachevées. Des gens me disent que c’est pour ça qu’ils les aiment : c’est comme un personnage qui va trop loin pendant une fête, qui parle trop il dit parfois quelque chose de génial, parfois quelque chose de nul.
Même à son plus fort, la musique de U2 était très fragmentée, comme un rayon de soleil pointant d’un nuage gris. L’expérience de Miss Sarajevo t’a-t-elle appris à chanter avec plus de réserve ?
En Irlande, on n’apprend pas vite, mais on y arrive. On a de grands comédiens, mais je trouve qu’ils ont souvent la main lourde. C’est un truc défensif, je crois. Quand la confiance arrive, on apprend qu’un murmure peut être très puissant. D’un autre côté, j’en ai parlé à un ami, un scénariste, qui m’a dit « Si tu ne passes pas ta tête au-dessus du parapet, à quoi ça sert ? » J’ai regardé autour de moi et je n’ai vu personne passer sa tête au-dessus du parapet. J’ai vu des choses très stylisées, très cool, des choses malignes. Brian Eno nous a toujours dit « Vous êtes trop malins pour regarder les malins avec envie. » Il aimait ce truc irlandais. La manière des Anglais, c’est de ne jamais échouer en public : il ne faut jamais perdre la face, toujours garder la « lèvre supérieure raide ». Dans la presse musicale, ils ont gardé cette habitude du bizutage qui existe dans les collèges privés, où les plus âgés battent les plus jeunes, jusqu’à ce qu’ils apprennent à ne plus pleurer, à ne jamais montrer leurs sentiments. Kurt Cobain a mis sa tête au-dessus du parapet. Trop loin, je crois. Au bout du compte, il croyait à une mythologie à laquelle je n’adhère pas. Et il faut que cette mythologie soit détruite. J’ai ressenti beaucoup de peine pour Kurt Cobain parce qu’il s’est laissé acculer.
En 1989, U2 invitait BB King sur scène et déclarait que pour le groupe, c’était comme retourner à l’école. Cette célébration de la musique du passé ne vous a-t-elle pas menés dans l’impasse ?
On savait dès le début que c’était un cul-de-sac. Mais c’était important pour nous d’en arriver là. L’intérêt, ce n’était pas seulement de découvrir le rhythm’n’blues ou le sexe dans la musique, mais la tradition : l’influence exercée par l’Irlande sur la musique américaine, dans la country, par exemple… Je pense à Johnny Cash, Bob Dylan et même à Willie Nelson pour qui on a écrit une chanson qu’il vient d’enregistrer. On était, depuis l’enfance, comme des coureurs à pied et là, on arrivait dans la dernière ligne droite. On voit ça chez les coureurs : ils jettent juste un petit regard par-dessus l’épaule avant d’attaquer le sprint final. On a regardé une dernière fois derrière nous pour être bien sûrs : est-ce qu’il reste quelque chose à apprendre ou à récolter ? Et on a décidé : en avant vers le futur ! Avec cette idée de William Burroughs en tête : il faut couper le passé en morceaux pour découvrir l’avenir. Le hip-hop, c’est ça : le découpage du passé en morceaux. A côté de ça, dans la musique anglo-saxonne, c’est la nostalgie qui règne aujourd’hui. C’est très bien de dérober, de chaparder comme une pie voleuse, mais il faut emporter ça dans une autre dimension. Sur Rattle & hum, il y a des chansons magnifiques comme Love rescue me. Je suis fier du travail accompli : c’était un disque de fan.
Cette démarche de revival, en 1987, semblait quand même très concertée. Ou bien était-elle aussi spontanée que par le passé ?
Assez spontanée. Beaucoup de choses nous sont arrivées à ce moment-là. D’abord, on a connu un gros succès alors qu’on était très jeunes : 24-25 ans. Et puis arrive The Joshua tree, et le succès devient énorme. A ce moment-là, on se dit « Mais enfin, c’est ridicule, les groupes ne devraient pas être énormes à ce point. Pourtant, d’un autre côté, est-ce que ce n’est pas ce qu’on désirait depuis le début ? Oui, mais… » On a alors commencé à prendre du champ. Etait-ce une forme de culpabilité catholique ou le fait d’avoir été formés à l’école du punk ? Toujours est-il que notre réaction a été d’essayer de trouver un sens à tout ça. Alors, nous voilà aux Etats-Unis. On est en tournée, on écoute la radio, on tombe sur toutes ces stations : country, musique noire. Et on ramasse tout ça. Dans ce sens-là, c’était complètement spontané. Mais je regrette juste une chose : cette notion d’authenticité, qui continue à se répandre aujourd’hui. Avec notre tournée Zoo TV, nous avons dû naviguer à contre-courant de cette notion d’authenticité. De tout point de vue, musical et esthétique, c’était un gros risque financier, car nous avons tout misé là-dessus. Il a fallu prendre ce temps et cette peine pour, d’une certaine façon, enfreindre la perception que les gens avaient de nous.
J’ai l’impression qu’après Rattle & hum, en 1988, vous vous êtes retrouvés face au vide. Pas seulement vous, d’ailleurs. Le chaos s’installe durablement en Europe : le souci de gagner de l’argent est remis en cause, l’idée d’une autre organisation sociale finit de disparaître avec la chute du système soviétique. Il reste un champ de ruines.
Un lieu fabuleux ! Marcher alors que le sol s’ouvre sous vos pas, c’est génial pour un artiste. A condition qu’il résiste à la tentation de vouloir tout expliquer et qu’il se permette d’y plonger à fond. Voilà le sens de Zooropa. Partout, j’ai ressenti ça. Beaucoup de choses, qui semblaient sûres, ont disparu. C’est comme la Révolution culturelle, quand Mao a lancé les enfants dans une guerre contre les adultes. Eh bien moi, je vois une nouvelle révolution en marche. Les enfants savent faire fonctionner la technologie, pas les adultes. Ma fille, sur un ordinateur, est une experte. Moi, je suis un illettré. Dans la sexualité aussi, j’ai vu émerger une nouvelle génération. Pour moi qui ai grandi dans les années 80, les choses étaient claires et nettes : les femmes et les hommes étaient égaux dans leurs possibilités et leurs responsabilités. A la fin des années 80, une nouvelle génération de femmes ne voulait pas de cette égalité-là. Mes idées se sont transformées dans tous les domaines. En politique, la seule véritable menace contre l’Ouest a été la Théologie de la Libération. Castro a dit que la chose qu’il regrettait le plus était la suppression du catholicisme et de la foi chez son peuple. J’ai vu au Nicaragua comment Ortega avait utilisé les Ecritures pour diffuser l’Evangile des pauvres. Là-bas, un groupe de peintres réalisait des fresques dans les églises. On pouvait voir, par exemple, Hérode sous les traits de Ronald Reagan. La population voyait que la fuite hors d’Egypte, pour échapper au pharaon, ressemblait à son histoire, quand les Yankees ont débarqué en Amérique. Ortega a utilisé leur foi. En tant que croyant, j’ai été passionné par ce mouvement. Alors je suis allé au Nicaragua et j’ai parlé avec Ernesto Cardenal, le ministre de la Culture, qui est aussi poète. Il m’a dit que les prêtres irlandais lui avaient donné l’exemple. On s’est un peu accrochés à propos de sa poésie révolutionnaire, avec son côté romantique. Je n’aimais pas ça et je lui ai dit « Il n’y a rien de romantique dans un cadavre. » Et puis tout ça a été broyé… Si la Théologie de la Libération avait réussi, le Mexique et toute l’Amérique du Sud, grâce au catholicisme, seraient aujourd’hui une grande puissance. C’est pour ça que le pape a été tenu à l’écart et qu’il s’est autant méfié de Cardenal. Alors, dans les années 90, qu’est-ce qu’il nous reste ? Tout s’est tourné vers l’intérieur. Achtung baby devait s’ouvrir par la chanson Acrobat, dont le sujet était l’hypocrisie. La mienne. Les paroles, c’était quelque chose comme « Tu fermes les yeux et tu vois l’ennemi. » Le monde entier s’est tourné vers l’intérieur. Mon idée, c’est qu’il fallait arrêter de balancer des pierres contre les politiciens et commencer à les balancer contre les pop-stars. Je voulais dénoncer leur ridicule, faire une satire de leur ego, tout en y prenant du plaisir. C’est pour ça que j’ai exhibé sur scène tous ces personnages divers, déroutants, qui vivaient à l’intérieur de moi-même : le mégalomane, le poète, Monsieur-tout-le-monde, le fan, mais aussi le voyou, la pop-star, le prêtre. En démontant tout ça, je prenais, en même temps, du plaisir. C’est, je crois, la seule chose qu’on pouvait faire à ce moment donné. Dire : « Arrêtez de vous en prendre au système et prenez-vous-en à vous-mêmes. »
Affirmer que hors de l’individu, il n’y a aucune solution, c’est assez nihiliste et paradoxal de la part de U2, un groupe qui se voulait missionnaire. Avec Zoo TV, on a l’impression que vous avez fait un spectacle de vos contradictions, de votre souffrance de ne plus croire en rien, où perçait une forme de masochisme.
On était plus arrogants que ça. On avait tellement foi en l’esprit qui vivait en nous qu’on pouvait se permettre de briser tous les cadres. Je crois que c’était, au contraire, très positif. Au milieu du spectacle de Zoo TV, de tous ces câbles, de toutes ces informations, dans cette espèce de matrice d’idées et d’images, il y avait la voix et la clameur de gens qui étaient, par contraste peut-être, plus forts encore.
Ce qu’on ressentait n’était ni aussi clair ni aussi transparent. Pour la première fois, il y avait quelque chose de lugubre, d’ironique, de nihiliste, lié à U2. Avant ça, U2, même pour ses ennemis, était un groupe animé par…
La joie ?
Surtout la foi : celle de faire quelque chose de positif dans un monde hostile. Avec Zoo TV, votre but était de montrer, avec ironie, que vous étiez prisonniers du monde des médias, que vous ne faisiez même plus semblant d’être associés à la vie des gens simples. Comme si vous donniez votre impuissance en spectacle, transformée en quelque chose de distrayant.
Comme Elvis qui oublie les paroles de ses chansons à Las Vegas… Ça faisait partie du truc. Je trouve que ta position appartient aux années 80. Il y a une nouvelle prise de conscience, aujourd’hui. On n’est plus comme au temps où les gens qui allaient au cinéma sortaient en disant « Oh, c’est magique ! » A présent, ils voient la main du cinéaste, ils sont conscients de tout ce qu’il y a derrière. Les groupes qui partent en tournée montent de grands spectacles. Le public est averti des systèmes qu’il faut installer : les câbles derrière la scène, la publicité pour vendre les disques. Nous, on a voulu prendre tous ces trucs qui étaient derrière la scène et les mettre devant : c’est le contraire du show-business.
U2 est un sujet de plaisanterie très répandu chez les groupes de rock. Comment le vis-tu ?
Quand j’étais gamin, je me souviens très bien des Beatles : tous les gens crédibles les méprisaient. Quiconque a aussi faim que nous mérite ce genre de coup de pied au cul. Il y a beaucoup de groupes qui réussissent à passer à travers les mailles du filet, dont tout le monde pense qu’ils sont cool. Mais ce ne sont pas des artistes, ils sauvent les apparences. Le sang-froid, la sagesse, l’épargne, tout ça n’a rien à voir avec le rock’n’roll. Ce n’est pas une affaire de prudence et de belles chaussures. Il doit être cru, il faut s’arracher les côtes pour montrer son c’ur.
{"type":"Banniere-Basse"}