Des ventes de disques colossales, des concerts et festivals toujours plus massifs : Two Door Cinema Club vire au phénomène. Les Irlandais pourraient bientôt côtoyer les sommets avec un deuxième album annoncé comme l’événement pop de la rentrée. Reportage, chez eux, à Belfast.
Ceux qui les ont vus aligner leurs tubes brillants devant une foule chantante et remuante de quelque 60 000 personnes aux Vieilles Charrues en ont encore la larme à l’oeil et la crampe aux mollets. De 7 à 77 ans, chaque Français connaît en outre, probablement sans même le savoir, l’art lumineux de ces trois garçons : deux de leurs morceaux optimistes ont servi de signature musicale à des publicités télé. Et la planète, toute entière, connaît la bonne bouille d’Alex Trimble. Choisi par le metteur en scène Danny Boyle lui-même, il a été invité à chanter sur un morceau d’Underworld lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres : la gloire, globale, en Mondovision.
La gloire, certes, mais pas n’importe comment. Pas au prix des belles amitiés, de l’oubli de soi, de la prise de melon ou de l’assassinat de l’innocence et de la joie : Alex, Sam et Kevin sont des garçons normaux, et tiennent à le rester. “On aime être loyaux avec ceux qui nous suivent depuis longtemps, explique Kevin. La plupart des gens qui nous entourent sont là depuis le début, parce que ce sont des gens qu’on aime. On ne s’amuserait pas si c’était du business : ce n’est justement pas du business, on n’a même pas l’impression de travailler. Il faut aimer ça et je pense justement qu’une grande partie de notre succès vient de la manière dont on prend plaisir, visiblement, à ce qu’on fait.”
La gloire, du moins son écho, a tout de même un prix : une éthique du travail qui n’a, jusqu’ici, connu aucun relâchement. Battre le fer tant qu’il brûle encore les lèvres semble avoir été la seule option possible pour le trio. “Nous sommes à une époque où la musique est devenue un objet de consommation, quelque chose de jetable, poursuit Sam. Beaucoup de gens se contentent d’avoir deux ou trois de tes morceaux sur une playlist, et ces playlists ont généralement une durée de vie limitée, tout le monde passe rapidement à autre chose… Tu peux donc assez vite disparaître du paysage, être oublié : pour éviter ça, j’imagine qu’il faut toujours donner quelque chose de neuf aux gens, rester présent dans le paysage.”
Pour ne pas disparaître de la photo, Two Door Cinema Club a donc enchaîné, après les tournées et sans vacances, sur l’enregistrement, en deux mois à L. A., de son deuxième album Beacon, avec le producteur Jacknife Lee, grand spécialiste du son raz-de-marée qui noie les ondes FM (Snow Patrol, R.E.M., The Drums ou Bloc Party sont passés chez lui). L’esprit léger et l’inspiration intacte, les Nord-Irlandais ont réussi quelque chose de rare dans ces épuisantes circonstances – faire encore mieux.
Pour se rendre compte du coup de force de Beacon, il est conseillé de réécouter Tourist History : si l’ancien n’a rien perdu, le nouveau a beaucoup gagné. Les rushs nerveux et les mélodies vocales accroche-coeur ne portent aucune trace de surmenage, les guitares restent tranchantes, sautillantes, exaltantes, les rythmiques discoïdes et explosives. C’est en termes de production et de variété que le groupe a fait un grand pas : les beaux airs de Beacon jouent à saute-mouton avec des humeurs plus changeantes. Ils ont l’énergie de l’atome en fusion et sont presque tous des tubes potentiels mais ils sont, dans le même temps, marqués par la mélancolie, voire la tristesse de Trimble, celle que l’on peut parfois furtivement deviner dans quelques-uns de ses regards perdus : ses textes sont ceux d’un garçon qui apprend à adapter son romantisme à la solitude, à l’isolement et au déracinement qu’entraîne le carton international.
“On voulait quelque chose de plus beau que Tourist History, un disque qui prenne le temps de remplir les espaces, de créer une atmosphère pour chaque chanson, explique Trimble. Un album avec plus de mouvement, plus de textures ; nous avions plus d’instruments, plus de musiciens à notre disposition, ça nous a aidés à varier un peu les choses. La distance, le voyage, le fait de laisser derrière soi les gens ont influencé les textes. On met forcément pas mal de choses et de gens de côté, c’est difficile, d’autant qu’il faut apprendre vite. Il y a beaucoup de références à ça sur l’album, au manque, à l’envie de se fixer quelque part, avec quelqu’un… Je suis un romantique et je pense l’avoir mieux exprimé sur ce disque. Beacon est plus intime, plus personnel, il montre un peu plus de ce que je suis et de ce que nous sommes.”
Mélancolie ou pas, Beacon est aussi un album qui montre que Two Door Cinema Club sait ce qu’il veut, où il va. Et que, sans trahir son esthétique ou son éthique, il fera ce qu’il faut pour atteindre ses objectifs. “On veut vendre autant, et peut-être plus de disques, affirme Trimble, sans modestie ni mégalomanie mal placée. Beacon n’est pas l’indication d’un changement majeur dans ce que nous faisons, c’est plutôt un nouveau pas sur le chemin que nous essayons de suivre. On veut jouer dans des salles de plus en plus grandes, comme ça a été le cas, graduellement, depuis la parution de Tourist History. Avoir plus de fans, dans plus de pays, percer aux États-Unis. On veut continuer à grimper.” Plus haut, encore plus haut, toujours plus haut ? C’est possible, c’est probable : déjà riche, l’histoire de Two Door Cinema Club ne fait peut-être que commencer.
Concerts : le 9 novembre à Rouen, le 12 à Nîmes, le 13 à Bordeaux, le 14 à Nantes, le 15 à Paris (Zénith)