L’épopée du rock, pourtant riche en tordus de tout poil, n’a guère enfanté plus singuliers songwriters que Walter Becker et Donald Fagen, esthètes teigneux qui, dès leurs premières chansons, balançaient déjà entre William Burroughs, le Brill Building et Birdland. Au pays des forcenés du boogie, ce duo extravagant réussit à imposer le nivellement par le […]
L’épopée du rock, pourtant riche en tordus de tout poil, n’a guère enfanté plus singuliers songwriters que Walter Becker et Donald Fagen, esthètes teigneux qui, dès leurs premières chansons, balançaient déjà entre William Burroughs, le Brill Building et Birdland. Au pays des forcenés du boogie, ce duo extravagant réussit à imposer le nivellement par le haut, à flatter les sens sans jamais négliger d’échauffer la cervelle. Sur Two against nature, huitième album d’un Steely Dan reformé après un hiatus de vingt ans, cette musique lettrée et millimétrée s’humanise en conviant quelques vieux amis à sa fiesta futuriste. Sur Gaslighting Abbie, un James Brown poids plume gigote en douce, dans Janie runaway, les yeux bleus de Frank Sinatra (modèle 1959) lorgnent une fugueuse funky, Cousin Dupree offre au Brown eyed handsome man de Chuck Berry une virée de jouvence dans le millénaire nouveau. Quand Steely Dan arpente les rues coriaces de New York, la guitare de Becker pétille d’un inimitable humour fouettard. What a shame about me, comédie de mœurs cruelle, débute au Strand et s’achève au cimetière des illusions trépassées. Jamie runaway attire le lyrisme dans un traquenard érotique, au croisement insolite d’American beauty et de Kids. On n’a pas fini de partir à la dérive avec ces chansons, de se faire mener en bateau par des personnages dont chaque nom porte en germe un roman (Kid Clean, Brother Lou Garue, T. Bone Angie ou le Bleecker Street Kid ? qui pourrait bien être ici Bob Dylan). Rituel respecté : le nouveau Steely Dan attire aussi infailliblement l’exégèse que le décolleté de Jayne Mansfield l’œil du spéléologue ? l’amateur de jeux de piste entreverra par exemple, sous l’émoustillant refrain d’Almost gothic, une malicieuse critique de l’œuvre entière du groupe. Quand la dernière chanson vagabonde A l’ouest d’Hollywood, on constate que même à Malibu, Becker et Fagen restent miraculeusement alertes.
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