Un Américain moustachu au parcours cabossé distille sous le nom
de Twin Shadow un songwriting pop feutré, qui se frotte à un groove
froid et synthétique aux accents eighties. Un cocktail explosif.
« Qu’est ce que tu fais pour t’éclater, George ? – Je joue de la batterie, de la musique. – Et à part ça ? – J’achète des voitures de sport.” L’image, rétro, est pleine de grain, le cadre, serré. Face caméra, très fifties avec sa petite moustache, sa banane et son T-shirt blanc manches roulées aux épaules façon Brando, Twin Shadow, alias George Lewis, répond aux questions. Puis il se rassied derrière sa batterie et entame les premières mesures de son déjà minitube, Slow.
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Un clip arty et stylé, à l’image de ce jeune Américain né en République dominicaine et qui a grandi en Floride. “Mon père a vraiment attiré mon attention sur Brando quand j’étais gamin, raconte Lewis de sa voix suave. Je pense qu’il voulait vraiment que je sois un homme, un vrai. Même si au final, chez Brando, la surmasculinité fait qu’il dégage une certaine féminité. Pour moi, être un homme, c’est être à l’écoute de ça.” Félin, George Lewis dégage une séduction tenace, un magnétisme que l’on a pu éprouver lors de son passage parisien au Point Ephémère. Entouré d’une bande de musiciens ultrapros, il a donné une interprétation très sexy et funky des titres de Forget, un premier album extrêmement maîtrisé qui mêle des influences pop à la Smiths (“je pense que Bona Drag de Morrissey est le premier album que j’ai acheté, et je suis inconditionnel du jeu de Johnny Marr”), mais surtout electro-pop eighties à la Bowie. “Low est mon album favori, explique-t-il. Mais, plus jeune, j’étais véritablement obsédé par son album Scary Monsters. J’adorais le style de Bowie à l’époque, ce mélange d’esprit années 50 et de futurisme. Et aussi comment il avait capté l’émergence du funk et du son dance qui arrivaient de New York.” Ce premier album, George Lewis l’a écrit en deux mois, dans sa chambre à Brooklyn, sous la forme d’un journal cathartique d’une époque mouvementée. Après quelques années à Boston, où il rate son admission à la fac de musique, Lewis, qui a fait ses armes dans la scène post-punk (Bad Brains, Fugazi, Minor Threat), doute de sa capacité à devenir un musicien professionnel. Il s’installe quelque temps à Copenhague, où il compose des chansons pour une compagnie de danse, puis émigre à Berlin, où sa soeur jumelle s’est installée. “Je pensais vraiment tout arrêter. Je n’arrivais plus à ressentir la musique. Et puis j’ai adoré cette ville paisible, qui me laissait le temps de penser, de laisser mon esprit divaguer. C’est là que j’ai compris que la musique était vraiment essentielle dans ma vie.” Pour écrire les douze titres de Forget, Lewis puise largement dans ses expériences personnelles : une vilaine rupture avec une girlfriend suédoise (que raconte Slow), son expérience du déracinement. “Je ne me sens ni vraiment dominicain ni américain, je n’ai jamais trop su où me situer”, explique-t-il. Il a également travaillé à partir d’influences cinématographiques, et tout particulièrement celle du Septième Sceau d’Ingmar Bergman. “La première fois que j’ai vu ce film, je n’y croyais pas. C’était lent et en même temps toujours surprenant. J’ai commencé à m’intéresser au scénario, aux notes laissées par Bergman, et à inventer des histoires à partir de ces notes, à en faire des paroles.” Rencontré grâce à des amis communs, Chris Taylor de Grizzly Bear s’est ensuite chargé de donner de l’espace au disque. “Je fais parfois cohabiter beaucoup d’idées différentes dans une chanson, je voulais être sûr qu’elles soient bien intelligibles”, précise Lewis. Le résultat, à l’image de Tyrant Destroyed, ouverture feutrée de l’album, ou de la crépusculaire Castle in the Snow (le plus beau titre du disque), est somptueux. Lewis accouche d’une pop existentialiste et rétrofuturiste, qui a l’intelligence de ne jamais faire passer l’ambition mélodique et d’écriture, pourtant bien réelle, avant la sensualité et le groove. On pense à Bowie bien sûr, mais aussi au Prince des débuts (l’irrésistible When We Were Dancing, ou la très funk Shooting Holes). “C’est important pour moi que ma musique soit sexy, conclut-il. Ma génération est un peu trop conservatrice. Je pense qu’on a trop peur, que quand on voit de la beauté, on se sent parfois coupable de la regarder. Si ma musique peut changer les choses et favoriser quelques rapprochements physiques, je serai content.” Amen.
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