Pour la musique de Tron – L’Héritage, Daft Punk frotte son écriture jouissive à un orchestre philharmonique. Un monstre hybride qui intègre autant qu’il désintègre les codes de la BO et se permet, au passage, de faire une tête de Mickey à l’univers de Disney. Extrait du supplément Daft Punk-Tron à retrouver dans le n°784 des Inrocks, en vente le 8/12.
Daft Punk composant pour les studios Disney, on croit rêver… Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ont dû se faire des cheveux sous leurs casques face à ce cahier des charges nouveau pour de tels électron(icien)s libres. Littéralement : une rumeur raconte qu’ils sont ressortis du studio hagards, hirsutes, chevelus comme des scientifiques ayant perdu montre et sens commun.
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Car aux laborieux exercices de style de tant d’artistes electro, tellement bourrés de complexes qu’ils écrivent des BO pas du tout originales, convenues, engoncées, Daft Punk a choisi le grand détournement des règles et des ordres. Au centrisme des autres, Daft Punk a préféré l’entrisme : une BO extrême, qui défie le film.
On connaissait l’incapacité des Parisiens à se dissoudre dans la soupe, l’intransigeance en granit du duo : on ne s’attendait donc pas, même en collaborant avec le casse-tête que doit être Disney, les voir ressortir avec des oreilles de Mickey collées au casque et accorder des sessions photo à Disneyland. Mais on n’espérait pas un tel acte de résistance, de bravoure – on a failli écrire de sabotage –, en pensant à quelques titres largement au-delà du raisonnable.
On a pourtant peur, dans les premières minutes de cette BO, le temps que défilent majestueusement Overture, The Grid, porté par la voix de Jeff Bridges, ou Recognizer. On a peur que Daft Punk se soit laissé impressionner par le gigantisme du projet, que le duo ait choisi de traverser prudemment entre des clous enfoncés par les illustres John Williams (Rencontres du troisième type, sous-jacent partout), Vangelis (Blade Runner) ou Giorgio Moroder (Midnight Express). Après tout, on peut endosser des combinaisons de robots, porter des bottes démesurées et quand même être dans ses petits souliers. Et c’est ce que fait Daft Punk pendant quelques minutes : rassurer la galerie en prouvant que, débarrassé de son arsenal sonique, de ses outils diaboliques, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo savent composer dans les règles strictes, fonctionnelles de l’art.
Petit à petit, Daft Punk sort de sa prudence
Peut-être cherchent-ils eux même à s’en convaincre, à tester si leur écriture ne cède pas aux coutures sous la pression phénoménale d’un orchestre symphonique : musique inventée à deux, toujours bricolée à deux, avec ses propres repères, sa propre grammaire, son idiosyncrasie, mais soudain projetée entre les mains expertes de quatre-vingt-dix vénérables musiciens classiques – il y a de quoi paniquer.
Vérifiant ainsi que sa combinaison demeure étanche, Daft Punk s’aventure petit à petit, sort de sa prudence, avance vers la déraison. Et très vite, reprend le contrôle du vaisseau amiral dont le duo avait, espiègle, fait semblant de déléguer le gouvernail à la compétence et à la virtuosité.
Le génie, lui, arrive très vite et très bruyamment dans un de ces excès dont les Parisiens sont experts : dès Arena ou surtout Rinzler, la BO dérape, dévisse. Intrusion de boucles filtrées par un réacteur nucléaire, de beats concassés, monstrueux. C’est déjà la guerre, sans pitié, des mondes : un orchestre philharmonique enragé contre deux crevettes de chambrette, le maximalisme contre le minimalisme – cette lutte épique qui depuis toujours fait tempête sous les casques de Daft Punk.
Un titre vient vite confirmer cette volteface de la BO, cette reprise en main : The Game Has Changed. Il est l’une des choses les plus haletantes, physiques, troublantes que l’on entendra en 2010, pas très loin de l’album scandaleusement sous-estimé des Anglais de These New Puritans et leurs symphonies déréglées, martyrisées.
On assiste alors, fasciné, à l’avancée du virus Daft Punk dans cette musique symphonique qu’il contamine progressivement, impitoyablement de sons parasites, de vocabulaire interdit. Car ce ne sont pas seulement ces beats exorbitants qui signalent ici la présence de Daft Punk, mais ces mille mélodies de fête foraine (oui : on a raison d’entendre ici parfois Rondò Veneziano), ces petits loops maigrichons, obsédants, euphoriques – en trademark.
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