Vingt-quatrième album de Murat : tout seul en studio, contre tout – le temps, les modes et l’inertie.
Un jour, Murat ne fera plus de disques ; il ne postera même plus de chansons sur le net. Ce jour-là, on s’apercevra à quel point on aimait ses livraisons bisannuelles, ses chansons sans prétention sitôt nées sitôt enregistrées dans son studio-tannière au milieu des volcans endormis. Et puis on relira l’ensemble de l’œuvre. Arrivé à Tristan, on en aura encore le souffle coupé, l’épine dorsale tressaillie. Et on hurlera au génie de Millevaches. L’histoire de Murat, on la racontera alors aux prosélytes en prenant ce vingt-quatrième album comme la pierre angulaire du répertoire. On célébrera l’audace du dernier héritier des trouvères (Tel est pris, La Légende dorée…), le cabotinage classieux de l’ultime desperado d’une country bluesée à la française (Les Voyageurs perdus). La légende parlera de ce mec tout seul, jouant de tous les instruments, refilant ses maladies d’amour aux cordes qu’il gratte, aux cuivres qu’il expire et aux peaux qu’il caresse. Pour l’affaire, il aura mené un dernier duel avec son saxo, sa première muse à la gorge grave qu’il avait abandonnée depuis des caisses pour en tirer de vieux vagissements séminaux dans la plus grande élégance roxymusicienne (Marlène). Ces onze chansons resteront à vie comme celles qu’il a réalisées en solitaire, en osant enfin tout faire lui-même, devant le miroir, comme la première œuvre de son apogée, la dernière avant une inexorable suite de répétitions de lui-même. Et puis, il y aura cette poésie, que l’on comparera aux acrobaties de Ronsard bien plus qu’au romantisme trash de Baudelaire : un indélébile savoir-vivre de la langue, en prolongement filial avec la courtoisie des auteurs baladins des XIVe et XVe siècles, qui aura propulsé Murat dans des paragraphes entiers des manuels de français pour la préparation du bac : “Tristan est un Sancy de tristesse. Il ne s’entend bien que si on pense, comme moi, que Dieu est une femme”… Ce jour-là, nous serons en 2050 et Murat aura presque un siècle. Ultime coquetterie de râleur éternel : il dira dans ses rares interviews qu’il prépare un disque en occitan, pour boucler la boucle de sa colossale odyssée et enfin gagner son fauteuil au paradis des troubadours. Et, comme d’habitude, on le prendra pour un dingue… Un dingue avec plus de mille ans d’histoire de la chanson dans ses veines et plus de cent disques au compteur.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}