Jamais aussi à l’aise qu’en concert, le Berlinois Nils Frahm regarde dans le rétroviseur pour un souvenir enfiévré de sa dernière tournée.
Dans le repaire berlinois du Funkhaus, ancien centre de radiodiffusion de l’Allemagne de l’Est devenu l’un des meilleurs studios au monde, une foule de gens s’agite autour d’un homme-orchestre électronique coiffé d’un béret, sautant d’un clavier à une machine. Voir le film de Benoît Toulemonde Tripping with Nils Frahm ou écouter l’album correspondant – les deux ne proposent ni les mêmes morceaux ni la même expérience – revient d’abord, avant de ressentir beaucoup de plaisir, à s’injecter un gros shoot de nostalgie.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les concerts qui servent ici de matière première, tournés et enregistrés en décembre 2018, semblent dater d’une période lointaine où les artistes n’étaient pas contraint·es, pour des raisons sanitaires, à jouer face à un public virtuel qui s’abrite derrière des écrans. “Maintenant que l’on est privé de concerts, commente Nils Frahm, installé chez lui, on se rend compte combien c’est important d’être tous ensemble, réunis dans une seule pièce.”
“Même Keith Jarrett, pas réputé pour son humilité, a admis que le public jouait un rôle important. Ce que nous avons capté ici correspond à un des sommets de ma dernière tournée. A cause du coronavirus, cela semble être le souvenir d’un monde passé… En quelques mois, tellement de choses ont changé dans nos têtes. De toute façon, pour retrouver le niveau que j’avais lors de ces soirées au Funkhaus, j’aurais besoin de m’entraîner pendant un an !”
Un goût intact pour les ascenseurs émotionnels
Quiconque a assisté à une performance publique du musicien allemand sait que ses concerts constituent des voyages mouvementés où il peut passer d’une délicate prière païenne interprétée au piano acoustique à des éclats de transe synthétique. Parfois, ses compositions louvoient entre les ballades intimistes et des morceaux rentre-dedans, optant pour un entre-deux plus atmosphérique.
Sur Tripping with…, on retrouve intact ce goût pour les ascenseurs émotionnels avec des splendeurs immobiles (My Friend the Forest, The Dane) encadrées par la techno cérébrale d’All Melody ou l’irrésistible montée de #2.
Nils Frahm déteste se répéter
“J’imite ce que font les compositeurs depuis des centaines d’années : chaque symphonie classique passe par des moments calmes et d’autres plus sonores”, observe-t-il. Pour beaucoup dévoilés sur All Melody (2018), les morceaux prennent une autre ampleur, comme Fundamental Values qui, d’une miniature acoustique en studio, se métamorphose en un voyage de près d’un quart d’heure.
L’exigeant Nils Frahm déteste se répéter et – subtilité – n’aime pas les concerts enregistrés. “Ils ne sont jamais à la hauteur de ce que représente l’expérience du concert. Bien sûr, Live Rust de Neil Young est important, mais souvent les albums live doublent inutilement le catalogue des artistes. Tripping with… a sa vie propre, ses transitions. Les concerts sont des événements uniques qui se sont déroulés dans des circonstances précises. Mon but, comme celui du réalisateur Benoît Toulemonde, a consisté à transformer des documents live en une œuvre artistique à apprécier chez soi.”
Le prodige allemand a déjà dans le passé (Spaces, 2013) procédé ainsi : décontextualiser des bouts de concert pour changer de perspective et exprimer sa vision artistique. Tripping with… confirme la validité de sa passionnante démarche.
Tripping with Nils Frahm (Erased Tapes/Bigwax)
{"type":"Banniere-Basse"}