Trois hommes et un coup fin. Après trente ans de jeu, l’une des plus belles associations libres du jazz européen emporte encore l’adhésion. Ce trio, c’est une longue histoire, une rencontre à épisodes, qui ose la durée, le danger des retrouvailles année après année, avec toujours latente la question lancinante, au-delà de la complicité : […]
Trois hommes et un coup fin. Après trente ans de jeu, l’une des plus belles associations libres du jazz européen emporte encore l’adhésion.
Ce trio, c’est une longue histoire, une rencontre à épisodes, qui ose la durée, le danger des retrouvailles année après année, avec toujours latente la question lancinante, au-delà de la complicité : que reste-t-il encore à inventer ensemble, après tout ce temps ? Et toujours la même réponse, en acte : la musique, tout simplement… Tout commence en 1965, à Prague, quand un jeune pianiste allemand au romantisme fiévreux remarque au sein du quintette de Don Cherry un jeune homme sombre à l’élégance discrète, aventurant sa contrebasse dans les expérimentations les plus extrêmes sans jamais la trahir, osant les conceptions les plus ouvertes de l’instrument sans abandonner sa fonction proprement rythmique, la pulsation, sans sacrifier la beauté du son à l’expressivité. Joachim Kühn et Jean-François Jenny Clark commencent ainsi de jouer ensemble, à l’occasion.
Puis, au tournant des années 70, Kühn émigre à Paris et rencontre Daniel Humair, l’un des très rares batteurs européens à avoir su imposer son style à l’instrument, gestuel, impulsif, lyrique, tout en projections de couleurs et contrôle rigoureux des accents, du tempo. Un trio était né, plus virtuel que réel cependant, rythmique occasionnelle au gré des engagements, à une époque où hommes et idées circulaient librement en une incessante recomposition du paysage musical.
Il faudra attendre le milieu des années 80 et l’album Easy to read pour que le trio se constitue effectivement en orchestre et débute une activité suivie, cohérente. Depuis lors, comme en contrepoint de leurs parcours personnels, les trois hommes se retrouvent à intervalles plus ou moins réguliers et reprennent cette longue et sinueuse conversation. La dernière rencontre phonographique était un peu formatée, engoncée dans le cadre rigide d’un « concept », une relecture de L’Opéra de quat’ sous, vieille scie pour faire sérieux quand on est un peu sec. Du coup, on redoutait les prochaines retrouvailles.
Deux ans après, voilà l’objet : Triple entente, un mauvais titre, rien là pour nous rassurer à trop bien s’entendre on finit immanquablement par ne plus s’écouter ! Et puis très vite les craintes se dissipent : quelques trucs et gimmicks certes, les pianismes de Kühn, certaines périodes lyriques un peu ressassées et grandiloquentes, quelques séquences rythmiques attendues de la part d’Humair, mais rien de méchant, juste quelques phrases toutes faites pour reprendre contact, et de la musique, beaucoup de musique. Avec toujours ce souci propre aux grands trios modernes de faire circuler énergies et équilibres, flux et tensions, dans le corps mouvant de l’orchestre. Il y a là un vrai lyrisme, une clarté dans la tourmente, des espaces dans le flux serré du discours, un constant souci mélodique qui emportent l’adhésion. Une belle musique, libre.
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