Transformer les ruines en espaces (contre-)culturels : voilà le credo de Dimitri Hegemann, fondateur du Tresor. Alors que le tout premier club techno de Berlin célèbre ses vingt-cinq ans avec un festival international qui s’arrêtera à Paris le 17 juin à la Gaîté lyrique, retour sur l’histoire d’une initiative qui a changé la capitale allemande.
Quiconque a déjà pratiqué l’urbex connait le curieux mélange d’attrait et de répulsion, de fascination et de malaise, procuré par les ruines industrielles. Mais qui a déjà dépassé les portes du Kraftwerk, monumentale centrale électrique désaffectée hébergeant le Tresor à Berlin, sait comment la techno épouse les colonnes de béton de ce site dévasté pour le transfigurer dans une glorieuse réincarnation.
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Danser sur les cendres de l’Histoire
Ce processus alchimique, Dimitri Hegemann en a fait le cœur de son métier. Le fondateur du plus vieux club techno de la ville se définit avec poésie comme un “pionnier de l’espace“, recyclant les vieilles pierres en aires de création culturelles.
Le 9 novembre 1989, le Mur s’effondre. L’administration de l’ex-RDA s’écroule elle aussi. L’ancien chef-lieu de l’Allemagne de l’Est se transforme alors en zone d’anarchie durant environ trois ans. Une entropie qui déclenche un tourbillon créatif incroyablement stimulant. Berlin devient un phare pour des personnes ouvertes d’esprit de divers horizons. Là, dans ce trépident bouillon de (contre-)cultures, l’Histoire a laissé de nombreux bâtiments déserts. Dimitri et quelques comparses ouvrent le premier Tresor le 13 mars 1991, dans la salle des coffres située dans le sous-sol du grand magasin Wertheim (« Tresor » signifie coffre en allemand, ndlr). C’est dans cet endroit que commence à s’esquisser l’image d’Epinal que l’on a gardé de Berlin dans les 90s : celle des kids de l’Est et de l’Ouest réunis pour danser sur les cendres du passé, au cours de soirées extatiques où tous les murs (sociaux, culturels, sexuels) ont chuté. De cette micro-utopie réalisée, la techno fait office de bande-son.
Détroit, Berlin : destins liés
En 1988, lors d’un voyage d’affaire à Chicago, Dimitri était tombé ébahi sur une démo de Final Cut, l’un des premiers projets de Jeff Mills, membre d’Underground Resistance (UR), le mythique collectif et label de pionniers de la techno de Détroit. Aux côtés des résidents du club (Tanith, Rok, Jonzon, Roland 128 BPM), la programmation du lieu s’enrichit rapidement des DJs dans l’entourage de UR : Jeff Mills et Blake Baxter, mais aussi Eddie Flashin Fowlkes et Juan Atkins. La Motor City ne possédant pas de scène de clubbing, c’est ici, entre ces quatre murs sombres et suintants, que les lourdes basses de ce jazz du futur trouvent l’espace pour se déployer. Ces artistes américains sont les premières signatures du label que le tenancier de la maison monte en parallèle : Tresor Records. Aux côtés de producteurs allemands tels que Moritz von Oswald ou Mark Ernestus, ils dessinent les contours du son du Tresor.
Transformer les décombres en or
On peut affirmer sans sourciller que la boîte de nuit de Dimitri est la matrice de tous les clubs berlinois qui font aujourd’hui la gloire de la métropole. « La recette est simple en réalité », nous explique notre homme alors qu’on lui passe un coup de téléphone.
« Un son magique et un espace magique. Cette nouvelle musique de Détroit et les friches du Berlin post chute du Mur. Le beat est dur, fort. Le Tresor est sombre, sent le moisi, ça n’a pas l’air mainstream. Tu es dans une pièce noire, avec d’autres gens. C’est une aventure. »
Dans le livre Der Klang der Familie, qui réunit les témoignages de plusieurs acteurs des nuits berlinoises des années 1990, le chroniqueur et photographe Tilman Brembs note encore :
« Avant, en club, on était toujours un observateur. On allait peut-être quelque fois sur la piste de danse, mais on continuait à penser en permanence. Au Tresor, c’en était fini de tout ça. Tu entrais et tu retrouvais au milieu de l’enfer. C’était d’une tout autre intensité. Tu devais participer – ou rentrer à la maison. »
Le Tresor devient vite un aimant mondial et une véritable publicité pour la capitale de l’Allemagne réunifiée. Il paraît évident que Dimitri a trouvé la formule pour transformer les décombres en or. De nombreux autres lieux de célébration et de débauche lui emboîtent le pas et réinvestissent des bâtisses à l’abandon – dont l’exemple le plus fameux est bien entendu le Berghain. « Aujourd’hui, l’économie drivée par la vie nocturne (clubs, tourisme, épiceries H24, taxis) a atteint une dimension sans précédent, et a installé un dynamisme qui facine et attire les investisseurs de la planète« , rappelle M. Hegemann. Pourtant, les autorités locales ont mis du temps avant de saisir l’atout financier que représentait ce terreau alternatif. Après de nombreuses descentes de police, le conseil de la ville a décidé de ne pas renouveler le bail du coffre du Tresor, qui s’est vu contraint de fermer ses portes le 16 avril 2005. Il les ouvrira à nouveau en mai 2007, dans son nouveau quartier sur la Köpenicker Straße.
Cracki Records présente : Tresor 25 Years, le 17 juin @ La Gaîté Lyrique avec Moritz von Oswald, Jonas Kopp, Vainqueur, Claudia Anderson, Ian Tocor, Renart, Voiron et Caandides
Tresor 25 Years Festival, du 21 au 25 juillet @ Tresor avec Borderland, Arpanet, DJ Pete + Sleeparchive, Mike Dehnert, DJ Stingray, Psyk, Helena Hauff…
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