Invités par Damon Albarn a assurer les prochaines premières parties de Blur, les Congolais de Staff Benda Bilili frappent Très très fort, comme l’affirme leur nouvel album. “Nous écrivons nos chansons comme des journalistes.” Depuis quand les journalistes savent danser ?
Dans le documentaire La Danse de Jupiter, consacré par Renaud Barret et Florent de La Tullaye à l’effervescence de la scène musicale de Kinshasa (République Démocratique du Congo), on ne voit qu’eux. Ils apparaissent dans la poussière, au guidon de tricycles customisés façon Mad Max et poussés cahin-caha par des petits gamins. Une procession joyeuse en dépit des entraves de la route. Eux, ce sont les stars du ghetto kinois, une tribu de musiciens tétraplégiques unis sous la bannière Staff Benda Bilili. Benda Bilili, soit “regarder au-delà des apparences”, en lingala, l’un des dialectes locaux.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
De leurs apparences, de leurs corps tatoués par le handicap, ces hommes ont fait une formidable force de vie qui innerve Très Très Fort, premier album au sang chaud et à la fausse indolence. Les musiciens de Staff Benda Bilili sont les consciences toujours en éveil de Kin la Belle (devenue “Kin la poubelle”, selon un adage local).
La RDC a connu toutes les avanies depuis quarante ans : une dictature aux allures de révolution culturelle, une terrible guerre civile, le virus de la polio qui coupe les jambes. Et surtout une pauvreté endémique : 95% de la population kinoise survit grâce à une économie parallèle basée sur l’entraide et la débrouillardise. Survivance. Le mot revient souvent dans les chansons de Staff Benda Bilili. Elles sont les reflets d’existences marquées par les épreuves.
Mais ce tableau plutôt sombre ne suffit pourtant pas à décourager la population très jeune, fruit de la démographie galopante : Kinshasa est le royaume des shégués, des dizaines de milliers de mômes des rues regroupés en bandes et inlassablement chassés par la police, parfois tués ou déportés. Ces enfants forment la plus importante communauté d’exclus de la ville, protégée par les handicapés. Staff Benda Bilili est leur héros et leur porte-parole. “Nous écrivons nos chansons comme des journalistes, déclare Coco Ngambali le champion de bras de fer. Nous parlons de la vie de la rue, des enfants de la rue et de leurs rêves de bonheur. Nous parlons de la corruption. La presse est l’esclave du pouvoir.”
La rencontre a lieu en 2004. Le projet de départ – un documentaire sur Staff Benda Bilili – se prolonge en désir d’album. Renaud Barret et Florent de La Tullaye présentent alors le groupe à Vincent Kenis, un amoureux de longue date des musiques congolaises. En 2004, c’est ce musicien belge qui produisit le premier album “officiel” des vétérans Konono n°1. Björk, sous le charme, les invite à partager le micro sur Earth Intruders. “Dès que j’ai rencontré Staff Benda Bilili, raconte Vincent Kenis, j’ai trouvé que leur style tranchait avec le ndombolo, la musique kinoise très standardisée. Ils sont influencés par le reggae, le funk et les musiques cubaines.”
Les sessions de Très Très Fort sont réalisées en quelques jours dans le Jardin Zoologique (là même où vivent et répètent les musiciens) grâce à un studio portable : un Mac Book et seize micros suffisent à capter l’énergie de Staff Benda Bilili, auquel s’est rajouté Roger Landu, un jeune virtuose au look de B-Boy. Vincent Kenis : “J’avais repéré un enfant des rues jouant du satongué. C’est un instrument à une corde qu’il avait lui-même bricolé : une boîte de lait concentré reliée à un fil métallique. J’ai rajouté une pédale de distorsion et Roger a commencé à développer un style extraordinaire. Il a peu à peu rejoint Staff Benda Bilili, grâce à qui il a appris la musique et à mieux utiliser ses sons distordus.”
Si Très Très Fort convoque l’esprit indolent et chaloupé des ballades rumba d’antan, leur son si particulier pourrait bien annoncer les mutations d’une musique congolaise toujours très poreuse – comme sa cousine malienne – aux expérimentations. En 2007, sur l’impulsion de l’organisation Africa Express, une délégation de VIP est venue prendre le pouls de Kinshasa : Damon Albarn, Tony Allen, De La Soul et Amadou (sans Mariam) ont vite été bluffés par l’incroyable énergie de Staff Benda Bilili.
Loin des caméras, la rencontre fut aussi musicale, Albarn rejoignant le groupe sur scène muni de son mélodica lors d’une session improvisée, tandis qu’Amadou tissait des accords sur sa guitare en or. Mais l’enjeu pour les membres de Staff Benda Bilili, alors que leur album est bientôt distribué à travers le monde, est aujourd’hui de pouvoir sortir de la RDC. Comme Konono n°1 l’an dernier, des soucis de passeports risquent fort de gâcher la fête, même si un concert aux Eurockéennes de Belfort est prévu cet été. En attendant de découvrir Staff Benda Bilili sur scène, on sera bien avisé de s’infuser leur premier album : une illustration supplémentaire du bouillonnement de la musique africaine contemporaine, lancée dans une incessante course à la modernité.
Benoît Hické
{"type":"Banniere-Basse"}