Deux albums instrumentaux le prouvent : il est désormais possible de peindre des aquarelles à la guitare. La scène, strictement imaginée, se passe lors de la dernière biennale des arts modernes de Chicago. Sans un bruit, une partie de l’assistance quitte le rock et entre en dissidence. Dans ce maquis de plus en plus maousse, […]
Deux albums instrumentaux le prouvent : il est désormais possible de peindre des aquarelles à la guitare.
La scène, strictement imaginée, se passe lors de la dernière biennale des arts modernes de Chicago. Sans un bruit, une partie de l’assistance quitte le rock et entre en dissidence. Dans ce maquis de plus en plus maousse, des décisions importantes sont immédiatement prises : couper les micros et, ce faisant, se débarrasser des chanteurs, ces ego sur guiboles ; remplacer ces babillards par des guitares, à la conversation autrement plus riche et chaleureuse ; révolutionner la peinture : désormais, on ne peindrait plus qu’avec des six-cordes, des douze-cordes. Des aquarelles, des lavis, des action-paintings mais uniquement à la guitare. On aurait pu ainsi, sans le vouloir, réhabiliter le guitar-hero, se débarrasser d’une peste (le chanteur bavard) pour se payer le choléra (la guitare baveuse). Mais ces peintres-paysagistes ne sont pas du genre à laisser vomir le pinceau, dégouliner les couleurs. Impressionnistes, ils ont bien entendu longuement observé les espaces suggérés par Durutti Column ou Eno & Cluster avant eux.
En asile chez les Chicagoans du fantasque label Drag City, l’Australien Michael Turner continue sur la route poussiéreuse mais pittoresque empruntée par ses Dirty Three. Mais là où, sur Horse stories, on avait laissé le trio dans une mer de sables (é)mouvants, Tren phantasma se joue dans l’eau. Ici, des coquillages laissent échapper de magnifiques bulles d’harmonica ; là, un orgue d’église joue au fond d’un abysse ; partout, des guitares font des vagues, laissent galoper la brise sur une mer d’huile, inventent des marées qui bouleversent le paysage avec des amplitudes pourtant microscopiques (slide, impression de batterie, claviers). Turner nom prédestiné, quand on peint ainsi des aquarelles marines d’un tel romantisme a emprunté le nom de son album aux fêtes foraines mexicaines : Tren phantasma, comme « montagnes russes ». On a rigoureusement calculé : entre le creux et la crête de ces vagues instrumentales, il n’y a que quelques centimètres. Et pourtant, on est sorti de ce disque sans spectacle plus tourneboulé et vacillant que de tous les grand-huit de la galaxie.
Sorti il y a quelques mois déjà et honteusement compliqué à dénicher, le Bad timing de Jim O’Rourke fait partie de ces disques refuges où il fait bon s’abandonner. En quatre longs et éblouissants instrumentaux, le guitariste ridiculise la légende qui voudrait que sa musique soit opaque et ardue : « C’est mon premier disque de musique. C’est aussi mon premier disque ouvertement drôle. Les gens m’imaginent comme un type bizarre et sérieux, mais c’est totalement faux », confiait-il récemment à l’excellent magazine The Wire. Et effectivement, la sérénité, la luminosité et, surtout, la malice de ces guitares radieuses rendent la confidentialité de ce disque vraiment pour tous un peu plus absurde, un peu plus rageante. Prions pour que le somptueux album qu’il sortira ces prochaines semaines avec Gastr Del Sol un pas en avant vers plus de luxuriance, vers des héros de jeunesse aux états de service époustouflants : Jack Nitzsche et Van Dyke Parks ne suive pas le même chemin du malentendu chez les malentendants. Prions aussi pour que Jim O’Rourke désormais démissionnaire de Gastr Del Sol suive éternellement le même chemin : celui, léger et dramatique, ensoleillé et terrifiant, des écoliers en fugue.
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