Un duo américain prend de jolies pop-songs et les tabasse sauvagement : les Sleigh Bells sont la jeunesse sonique. Critique et écoute intégrale.
En Angleterre, jusqu’aux années 70, les piercings étaient proscrits. Une vieille loi militaire interdisait toute forme d’automutilation et ce fut pour certains un moyen d’éviter le service militaire ou le front. A cette époque, la pop-music aurait à coup sûr convoqué les chansons des Sleigh Bells en cour martiale : on a rarement entendu des refrains s’automutiler avec autant de frénésie, d’application, de masochisme.
L’album s’appelle Treats, comme “cadeau”. Dans le paquet : une couronne d’épines, des lames de rasoir, des aiguilles rouillées. Car la chanteuse Alexis Krauss et le killer sonique Derek Miller ont beau composer d’authentiques pop-songs, elles sont systématiquement souillées, humiliées, rabaissées par une méchanceté qui fait de cet album – et de leurs concerts fiévreux – des expériences où le plaisir se mérite.
On parlera donc ici de songwriting autant que de sabotage : pas un hasard si le premier groupe de Miller s’appelait Poison The Well (“empoisonnez le puits”). Car c’est de ça dont il est question : contaminer ce qui coule de source – un refrain, une mélodie. Signé sur le label de M.I.A. (N.E.E.T Recordings), le duo de Brooklyn ne paie pourtant pas de mine (antipersonnelle).
Dans le civil, Alexis est même institutrice – et on plaint les jeunes tympans de ses écoliers si elle leur parle avec la même fureur que celle qu’elle réserve aux scansions d’Infinity Guitars ou de Straight A’s. On ne sait pas ce que fait Derek dans la vie, mais on l’imagine volontiers bourreau ou peut-être Jack Bauer : boîtes à rythmes, guitares et claviers sont ainsi brutalisés, la plupart du temps par des distorsions d’une férocité absolument interdite par la Convention de Genève.
On pense à Kap Bambino ou aux Crystal Castles pour ces attaques en règle du dance-floor, mais sans les pauses oniriques : Sleigh Bells joue à fond, tout en intensité, de la pop-music comme si Justice se lançait un jour dans le r’n’b. L’enfantin Rill Rill, le sexy Crown on the Ground, le jouisseur Kids : ces mélanges torrides entre perversité des sons et innocence du chant, entre acide et sucre candy, font de Treats l’un des albums les plus excitants et déstabilisants des derniers mois. Mais avis aux protecteurs de la nature : des instruments ont été maltraités pendant l’enregistrement de cet album.