Mercredi 14 juin, le rédacteur en chef de “Trax” Simon Clair annonçait la fin du magazine dédié aux musiques électroniques et aux cultures underground. Quant au dernier numéro, il ne sera pas imprimé comme prévu. Une annonce funeste dans un contexte toujours plus inquiétant.
Les journalistes dont le terrain est celui de la musique, qu’iels soient critiques, reporters ou les deux, ont souvent l’impression de pisser dans des violons. On leur rappelle qu’iels ne servent à rien, qu’à l’heure de la musique disponible partout et prétendument gratuite, leur avis, on s’en cogne (alors qu’iels ne donnent pas leur avis, iels critiquent). On leur raconte aussi qu’iels sont obsolètes, qu’iels feraient mieux de raccrocher les gants et de trouver un vrai métier. On les prend pour des adolescent·es futiles qui ne veulent pas grandir, elleux et leurs collègues de la culture, ces gens un peu loufoques, à côté de leurs pompes et des grands enjeux de l’époque.
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Mais c’est quoi, l’adolescence, sinon cette brèche pas tout à fait refermée par laquelle perce encore la lumière de l’innocence et de la révolte ? Cette lumière sans laquelle le monde tel qu’il nous est promis, terne, routinier, injuste et aussi exaltant qu’un mouroir construit sur un terrain vague administré par un élu du Rassemblement national, ne serait jamais défié ou questionné. Le magazine Trax vient de tirer sa révérence après 25 ans de présence en kiosque (plus ou moins régulière ces dernières années). On n’est plus un·e adolescent·e à 25 ans, mais Trax et la rédaction qui le faisait vivre n’avaient jamais cherché à réduire cette brèche ou à cautériser les plaies de l’adolescence. Ils et elles exaltaient au contraire toutes les folies saugrenues qui en jaillissaient encore.
Nouvelle formule
Je sais, ça sonne romantique à deux balles. Il n’empêche, en questionnant le monde, en plongeant dans les arcanes interlopes de la contre-culture d’obédience électronique et en documentant les modes de vie qui lui sont associés, Trax a offert une plateforme aux pirates, élargi les perspectives de lecteur·ices qui se croyaient seul·es, et, je le crois, modifié un peu la trajectoire prédestinée de nos vies de sorte à faire du monde un endroit moins pire. Mieux ! Trax, devenu une institution au fil des ans, avait su pisser contre le vent et penser contre lui, conscient que parmi les pirates d’hier, certains s’étaient mués en gardien du temple. C’est ainsi qu’en février 2020, le magazine revenait avec une énième nouvelle formule, fier d’afficher JuL en couverture, provoquant l’ire des snobs et des vieilles badernes essoufflées. Comme si les conditions matérielles et sociales qui ont rendu JuL possible étaient si éloignées de celles qui ont fait les undergrounds électroniques. C’est aussi la mission d’un canard que de ne pas toujours brosser ses lecteur·rices dans le sens du poil.
La semaine dernière, à Madrid, une amie espagnole francophile ne tarissait pas d’éloges sur la France et son rapport à la culture et à la contestation, ses kiosques pleins à craquer, sa situation unique au monde. Elle comprenait le discours de Justine Triet à Cannes comme une attaque préventive globale contre toutes les forces qui rêveraient de démanteler ce trésor perçu en dehors de chez nous comme inestimable. Les populismes les plus crasseux sont de retour, la haine de la culture dans ce pays exaltée au quotidien, les kiosques en danger, même si c’est pire ailleurs. Il faut savoir la chance que l’on a, mais il faut aussi se projeter. La fin de Trax n’a rien à voir avec les Justine Triet et le financement des films en France, mais, sans être alarmiste, il faut s’interroger sur la dynamique que celle-ci sous-tend. Où en serons-nous dans dix ans ?
Édito initialement paru dans la newsletter Musiques du 16 juin. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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