Pari tenu pour le troisième jour des Trans, où notre envoyé spécial a tenu le rythme jusqu’à l’aube et dj Mujava, grâce au soutien d’Anthony Joseph, des Black Angels et de South Central, et malgré les inévitables déceptions.
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Samedi 6 décembre
Au bout de trois soirs de festival, le critique ploie mais ne rompt pas. Anthony Joseph, accompagné par son habituel Spasm Band, n’y est pas pour rien : ce sosie d’Isaac Hayes originaire de Trinidad et Tobago a confirmé à la Salle de la Cité toutes les bonnes impressions qu’il avait déjà pu susciter. Venu du spoken word, il a évolué vers un son beaucoup plus chaleureux tendant vers l’afrobeat et du calypso funk, plus proche de Gil Scott-Heron que de Saul Williams. Réchauffant les cœurs avec sa section rythmique, Anthony Joseph réveille également les consciences en s’attaquant aux problèmes de société de son île natale avec clairvoyance– de l’afro beat conscious, en quelque sorte.
Gavé de funk, le critique se fera égoïste et sacrifiera les Residents au profit de son propre dîner, ratant ainsi le seul groupe « historique » de cette édition. Heureusement, le critique a des collègues, qui soulageront sa conscience en lui racontant ce conte musical proto punk en costume, très dispensable, voire inécoutable ». L’arrêt au stand fut donc judicieux, d’autant qu’il permit au critique de découvrir Ebony Bones. Annoncée comme la énième nouvelle M.I.A., cette actrice anglaise de soap s’avère sur scène une surprenante Rihanna post punk : un carnaval tropical à faire bondir les arthritiques entre ska, hip hop et funk. de la musique à tête chercheuse, paillarde et expérimentale. Le critique part alors s’enfoncer dans le trou noir creusé par Black Angels. Les Texans montent un drame en un acte joué autour de la dépouille du Thirteenth Floor Elevator, rythmé par un batteur superpuissant et un percussionniste. Non sans rappeler la scène parisienne réuni autour de Turzi, le groupe utilise les boucles lancinantes de l’électro pour faire du rock néo psyché pur et dur : l’hypnose fonctionne et les crânes s’allègent pour ce qui restera sans doute comme l’un des meilleurs concerts du festival. Il est alors temps pour le critique d’arbitrer pour le « duel » à distance entre Diplo et Brodinski, tout deux programmés à la même heure en dj set. Le duel tournera vite court, tant le premier a surclassé sans peine le second. Le beatmaker américain n’a pas ménagé sa peine en passant tous ses morceaux (Mujava, Spoon, M.I.A.) au filtre géant de la Miami Bass, insufflant à chaque titre un groove délirant et tropical. Moins d’envie manifeste chez le dj reimois qui s’est contenté d’enchaîner les morceaux avec des breaks simplistes, en abusant des effets de Delay. Pas très à la hauteur de son statut de meilleur espoir masculin du djing, a fortiori quand il reprend tel quel le Township Funk de Mujava (une dizaine de minutes après Diplo, un vrai fil rouge de la soirée).
La paresse, voila ce dont on ne peut pas accuser South Central – et pas seulement parce que le critique n’aime pas avoir à se déjuger. Programmé à partir de 4h30, le duo vérifie à plein son credo : « faire un dj set comme les autres feraient des live ». Plutôt qu’enchaîner les titres, avec leurs multiples machines et claviers ils remixent chaque morceau en direct : Hot Chip est alors diffracté en multicouches, les Beastie Boys prennent une coloration d’électro progressive et même un mash up entre Rage Against the Machine et Prodigy n’arrive pas à être vulgaire. Infatigables, les Anglais à capuches, censés s’arrêter avant 6 du matin, enchainent deux rappels sans rater leur remix inédit de Daft Punk. Idéal donc pour tenir jusqu’à Mujava, sans doute les trois syllabes les plus prononcées du festival. Le freluquet sud africain, accompagné par un acolyte crêteux, est là pour prouver qu’il n’a pas qu’un seul morceau à son actif. Et même s’il jouera celui-ci deux fois ( !), il tentera de le faire oublier avec son diptyque basses rebondies/mini mélodie à la mpc de fortune. Une formule tout à fait efficace qui se perdra au fur et à mesure dans des passages downtempo loungisants ou dans des expérimentations world un peu décevantes. Un rouleau compresseur paradoxal – à l’image de cette trentième édition des Transmusicales: si l’affluence a battu des records (28 000 festivaliers), les découvertes auront été rares, et les déceptions, trop nombreuses.
Timothée Barrière
Vendredi 5 décembre
Le programmateur de festival est un vicelard, et Jean Louis Brossard ne déroge pas à la règle. Le programmateur prévoit El Guincho à 4h du matin pour retenir les âmes jusqu’auboutistes, et motive les bonnes consciences avides de défrichage en les invitant dès le début de soirée à découvrir des groupes « à ne pas rater ». Astuce éprouvée. Le programmateur a différents types de suiveurs et joue allègrement avec eux : les historiques, qui le suivront jusqu’à l’aube avec une foi aveugle, les observateurs, récents convertis, au regard froid, et ceux que la crise de foi guette, prêts à parjurer leur allégeance en cas de déception trop intense. Et avec un groupe comme Creature, chargé d’ouvrir les débats, le programmateur fait croire qu’il donne raison aux sceptiques. Ces Canadiens nous font croire qu’ils sont les Clash du 21e siècle en démarrant reggae punk magistral. Couleur trompeuse, Creature est plutôt un monstre hybride, un Madness de la mauvaise heure, joué par les B-52 ‘s (ceux d’aujourd’hui et leur retour raté), avec une claviériste qui aurait fait ses classes chez Babylon Zoo, sans s’interdire des références graveleuses au tour de poitrine de Brigitte Bardot.
La transhumance des festivaliers vers le set de Padded Cell se vit comme un soulagement. Facétie de programmateur, voilà tout ce que n’est pas le quatuor canadien: délicieusement subtil et minimal. Le duo hypnotise l’auditeur par des roulements de basses parfaitement compressées, préparation idéale à de narcotiques ambiances psyché dub. Le groove est lent, sous perfusion d’antidépresseur, les mouvements des conducteurs de laptop aussi, rythmés à peine par quelques gestes au moment de lancer la piste suivante. Pas de quoi sortir de soi-même, mais idéal pour s’enfoncer dans une béatitude léthargique de début de soirée.
Le programmateur n’est pas un meneur de revue, c’est un designer de roller coaster, qui prévoit les montées d’excitation et les descentes vertigineuses dans l’abyme de soi. Et sans qu’on s’y attende, il place là un looping : Miss Platnum. C’est elle la créature, la femme à barbe de la soirée, une Roumaine fellinienne à la poitrine prodigieuse, une Beth Ditto déguisée en Lily Allen pour défendre les couleurs de Bucarest à l’Eurovision. Platnum magnum, encadrée par deux panthères métisse enroulées dans leur tablier, a eu une idée: la soul balkanique. Non sans un côté cheap de salle des fêtes des Carpates, elle lance un slow ryhtm n blues à l’ancienne en faisant de sa section de cuivre une chorale acerbe, avant d’enchainer sur une bombe dance floor- du Chat noir Chat Blanc des ghettos avec une drôle de chorégraphie « on fait tourner les serviettes » qui se finit en impro dance klezmer. Ébouriffant.
La jauge du festival (12 000 personnes) est alors pleine, et le programmateur dégaine son attraction principale, son ascenseur pour l’échauffement : Birdy Nam Nam. Ne laissant aucune chance aux White Rabbits qui peinent dans leur revival Walkmen et à The Penelopes & Morpheus dans un mauvais trip new new wave, les quatre champions du monde du scratch présentent leur nouveau show laser avec ghettoblaster sur écran géant et Rubik’s Cube clignotant: sur d’énormes beats hip hop, les bourrins Birdy pratiquent la drum’n’bass pour tous, le funk répétitif à écouter les bras en l’air. Message reçu cinq sur cinq et ça s’agite dans tous les sens, le Hall 9 devient une ruche géante célébrant sa reine mère, des Japonais n’en reviennent pas. Ce nouveau live, en tous cas, risque d’enflammer les clubs de Canet Plage à Bercy. SebastiAn, un peu plus tard, ne fera pas plus dans la dentelle, avec sa sélection propre à ne pas faire retomber la foule, entre Prodigy et remix de MGMT. A ce moment là, le programmateur commence à perdre quelques fidèles: assis la tête en arrière, assis effondré sur ses genoux, couché sur le côté, couché sur le dos, debout contre un mur, debout tout court, les corps commencent à s’amonceler un peu partout. Et ce n’est pas The Shoes qui réveillera les morts: le nouvel avatar de The Film, accompagné pour le live d’un batteur sachant taper, veut bien faire avec de l’électro rock vaguement eighties, vaguement Ladyhawke, mais manque terriblement de groove. Comme sur ce remix un peu raté d’Eye of the Tiger, la déperdition d’énergie ne crée même pas de chaleur, les bras en l’air deviennent ballants et le regard, hagard.
Mais on le répète, le programmateur est un vicelard, un facétieux. Histoire de réveiller son monde, il l’emmène au soleil, sous les tropiques aguicheurs d’El Guincho. Facétieux, vraiment, car il invite au calembour pourri de fin de soirée: il est temps de partir en Trans. Quand Barcelone prend un peu des airs de Brooklyn, quand Animal Collective se met à parler espagnol, quand le groove devient un rituel tribal sorti d’Amazonie, les coeurs se réchauffent et on danse sans se soucier des frontières. Le courant rénovateur, que l’on croyait indiscipliné avec les déceptions Creature, Penelopes ou White Rabbits, a finit par faire approuver sa motion, votée haut la main. Le programmateur a encore réussi son coup, les festivaliers ont récupéré de leur crise de foi et on rentre en enjambant les quelques corps mous qui ont décidé sans doute contre leur gré de camper sur place jusqu’au lendemain.
Timothée Barrière
Jeudi 4 décembre
C’est parce qu’il aime l’ivresse de la découverte que le Festivalier parcourt la France à la recherche du son. Il n’empêche, ce jeudi, le Festivalier est arrivé aux Transmusicales un peu hébété, froissant et défroissant son programme, la foultitude de concerts programmés faisant de ces trois jours à venir une succession de mini drames cornéliens. Hébété donc. Comme les Parisians, croisés un peu plus tard, ne sachant manifestement pas à quel punk se vouer dans une rue Saint Michel humide et la noirceur de décembre, quelques heures avant leur set au 1929. Ce bar mythique de la capitale bretonne, dont le nom résonne agréablement en temps de crise, le Festivalier l’élit quartier général provisoire, pour ses premiers échauffements (un Marathon sans préparation, c’est inhumain). Alors que les rumeurs d’un concert incroyable (mais complet) du rappeur Psychik Lyrikah dans un bar reculé de la ville enflent, prendre l’air devant le 1929 devient un mauvais choix : en quelques minutes, une foule immense s’agglutine pour voir les Dodoz et les Parisians, et voilà le Festivalier enfermé dehors.
On jette alors son dévolu sur Mustang, qui joue à La Place, quelques centaines de mètres plus loin. Un groupe de Clermont qui ne fait pas du folk, le paradoxe est tentant. Et il n’a pas fallu attendre trop longtemps pour voir la première bonne surprise des Trans. Mené par un sosie jeune de Dick Rivers/Johnny Cash à banane (« c’est pas du gel, c’est de la cire« ), Mustang épate avec son rockabilly progressif mêlé à la pop française scopitunée – une sorte d’alter ego juvénile de Heavy Trash avec l’attitude, la hargne et la classe. Ainsi ranimé, ramené à la vie et aux plaisirs simples d’une guitare vintage, le Festivalier prend la navette pour les hangars gigantesques du Parc Expo, juste à temps pour apercevoir The Deathset, le groupe de weird punk fraichement signé chez Ninja Tune.
Décollage immédiat, les oreilles qui font le bourdon et l’oesophage en feu. Déchainements sur des morceaux d’au moins une minute trente, chanteur irresponsable pris en flagrant délit de hululements, guitariste militant du riff qui tue. De quoi rendre fou entre les murs d’un squatt crasseux, un peu moins sous la hauteur sous plafond du grand Hall. Un peu plus tard, Maths Class lance au Festivalier un nouveau défi : faire exploser le rigoureux math rock à coups de punk funk rugueux, c’est Chk Chk Chk (d’ailleurs, le chanteur tambourinera sur les cymbales, comme chez !!!) de retour sur les bancs de la fac pour monter sur les tables et haranguer la foule. Leur set est un jam continu, entrecoupés de terribles syncopes, le guitariste se chargeant de jouer des tours vicieux au batteur, et inversement. D’excellentes idées, parfois brouillonnes, de construction/déconstruction pure qui promettent des albums renversants.
Après quelques étirements au bar, le Festivalier s’apprête à tapoter sur le Minitel Rose. Le collectif nantais a rameuté tous ses fans fluo, hypnotisés par sa Magic Powder et ses éclairages rétrofuturistes. Ici, on respecte au pied du clavier la liturgie électro eighties sans trop blasphémer, la communion se fait les bras en l’air et on danse sous les vivats de la culture populaire du siècle passé, en espérant secrètement que le chanteur ne prenne pas trop souvent le micro. Efficace mais clinquant. Point Tron n’en faut, le Festivalier repart se rafraîchir avant de se mesurer à l’attraction de la soirée, autoKratz. Les deux Anglais, dont un chauve, font les robots, après tout, devant des vidéos de mitose cellulaire. Ce n’est pas trop s’avancer que d’imaginer que l’électro filtrée à grosses infrabasses a un avenir. Les derniers survivants, un peu clairsemés mais gonflés à bloc, s’agitent de spasmes pendant que le duo enchaine les montées imparables sans tomber dans la vulgarité. Déconseillé aux genoux sensibles. Les oreilles qui bourdonnent et les mollets en crampe, le Festivalier déguste sans débarrasser la table et reprend repu le chemin du retour. Repu de cette première journée des Trans, nature qui fourmille depuis trente ans sans jamais lasser.
Timothée Barrière
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