[Track of confinement] Chaque jour, pour survivre au confinement lié à l’épidémie de coronavirus, Les Inrocks vous replongent dans l’un de leurs morceaux préférés. Aujourd’hui, on suit la grande Joni Mitchell “sur (sa) route solitaire”.
#OnResteOuvert : Fermons nos portes, pas nos esprits !
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Etonnamment, il n’est pas nécessaire d’apprécier le folk-rock, les hippies, les fleurs dans les cheveux et les tentures indiennes pour sentir son cœur s’éprendre instantanément de Joni Mitchell. Dans la passionnante discographie de la Canadienne, le titre All I Want a l’agitation d’une mer aux eaux profondes. Les émotions y déferlent par vagues, épousant sa voix de roitelet comme le dulcimer des Appalaches américains, l’instrument de musique traditionnelle américaine proche de la cithare qui rythme tout l’album.
Car All I Want est l’ouverture, d’une simplicité magistrale, de Blue, quatrième album de Joni Mitchell paru en 1971, l’un de ses plus grands succès critique et commercial, cri de douleur, de perte et de solitude, mais, aussi, chant de reconstruction, de réinvention, grand élan vital débordant d’une honnête spontanéité à laquelle il est quasi-impossible de résister.
Blue comme la couleur qui berce le visage aux yeux clos de Mitchell sur la pochette, très certaine référence à l’album Otis Blue d’Otis Redding, paru en 1965, dont la pochette montrait là aussi le visage d’une femme blonde aux yeux mi-clos. Mais, tandis que la femme d’Otis Blue tournait son visage vers un invisible tiers, s’offrant à lui dans un évident élan de désir, Joni Mitchell tient le sien baissé vers son micro. Blue comme la mélancolie qui mange ce grand disque d’amour contrarié, de cœur brisé. A Case of You parlerait de Leonard Cohen, My Old Man de Graham Nash, avec qui elle vient alors de rompre, partant noyer sa peine et se solidifier sous le soleil crétois où naîtront la plupart des chansons de Blue. Dans les médias réceptionnant l’album, Joni Mitchell se retrouve résumée aux artistes masculins qui l’entourent. Rolling Stone publie même un diagramme de ses conquêtes sous le titre “The Old Lady of The Year”…
Catharsis
La force de Blue vient pourtant de son incroyable capacité à transcender l’histoire personnelle pour offrir une catharsis commune à tous les cœurs débordant de chagrin. Peu importe à qui s’adresse le “you” d’All I Want quand les paroles plongent leurs racines dans la fragilité des émotions humaines : “I am on a lonely road and/I am traveling, traveling, traveling, traveling/Looking for something, what can it be/Oh I hate you some, I hate you some, I love you some/Oh I love you when I forget about me/I wanna be strong I wanna laugh along/I wanna belong to the living/Alive, alive, I want to get up and jive/I want to wreck my stockings in some jukebox dive/Do you want, do you want, do you wanna dance with me baby/Do you wanna take a chance on/Maybe finding some sweet romance with me baby, well come on” – que l’on pourrait traduire par : “Je suis sur une route solitaire Et/Je voyage, voyage, voyage, voyage/Cherchant quelque chose, qu’est-ce que ça peut être/Oh je te déteste, je te déteste, je t’aime/Oh je t’aime quand je m’oublie/Je veux être forte/Je veux rire/Je veux appartenir au vivant/Vivante, vivante, je veux me lever et danser le jive/Je veux déchirer mes collants en plongeant dans le jukebox/Veux-tu danser avec moi, veux-tu danser avec moi chéri/Veux-tu tenter ta chance/Veux-tu trouver peut-être une douce romance avec moi chéri, allez viens.”
Si elle parle d’amour, de haine, de jalousie et de solitude, All I Want est aussi une célébration de la vie, ou plutôt de la joie, de l’excitation, de cette énergie salvatrice qui vous tend l’estomac lorsque vous êtes épris. En 1979, Joni Mitchell, peu rancunière, racontait à Rolling Stone : “Il n’y a aucune fausse note dans le chant sur l’album Blue. A cette époque de ma vie, je n’avais aucune défense personnelle. Je me sentais comme cet emballage de cellophane sur un paquet de cigarettes. Je me sentais comme si je n’avais absolument aucun secret pour le monde, et je ne pouvais pas faire semblant d’être forte. Ou heureuse.” En 2012, Rolling Stone classe l’album à la deuxième place des 50 meilleurs albums du monde signés de musiciennes (la première revient à I’ve Never Loved A Man the Way I Love You d’Aretha Franklin).
Retrouvez les épisodes précédents de la série :
>> Track of confinement #13 : “Qu’est-ce que je peux faire”, d’Anna Karina et Katerine
>> Track of confinement #14 : “Generation Why”, de Weyes Blood
>> Track of confinement #15 : “Protection”, de Massive Attack
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