Infatigable Vulcain de l’afrobeat originel, Tony Allen revient avec un disque reliant l’axe Paris-Lagos. Et bientôt sur scène.
[attachment id=298]Oui, l’afrobeat est africain, ou plus exactement nigérian. C’est pourtant sur la route qu’est né le divin enfant, il y a quarante ans, alors que Fela Anikulapo Kuti, son papa, était en tournée aux Etats-Unis. Converti aux thèses des Black Panthers et frappé par l’évidence du funk, comme on le serait de l’existence de Dieu, Fela prenait le parti d’épurer sa musique, remisant au vestiaire le gentil high-life jazz au profit de ce nouveau genre brutal et envoûtant, entre closecombat et transe cathartique. Pour impulser ce nouvel élan, Fela s’appuiera sur Tony Allen, son batteur depuis le milieu des années 60 avec les Koola Lobitos.
Rapidement promu directeur musical d’Africa 70, Allen s’imposera comme maître d’oeuvre d’un genre qui n’a depuis cessé d’essaimer. Aujourd’hui, s’il existe de très bons groupes d’afrobeat en Suède, au Japon, en France, aux Etats-Unis et jusqu’en Israël (voir l’excellente compilation We Love Afrobeat, parue chez Comet), c’est en grande partie grâce à Fela, mais aussi à Tony Allen. Secret Agent, son neuvième album solo, exauce en cela les voeux d’un musicien bâtisseur qui a oeuvré à l’enfantement de ce groove intraitable et qui, à 69 ans, entend toujours contribuer à son renouvellement. Tout en cherchant à le ressourcer par les racines, il en impose dans ce nouvel album une vision moderniste et réalise la meilleure synthèse possible entre fondations yoruba, arrangements jazz à la Blue Note et résolution sonore electro. Il est vrai que depuis cinq ans Tony a étendu son registre. Invité sur le dernier album de la Malienne Oumou Sangaré, Seya, il fut aussi le batteur de l’éphémère super groupe The Good, The Bad & The Queen aux côtés de Damon Albarn et de l’ancien bassiste de The Clash, Paul Simonon. De quoi élargir les horizons…
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Sur Secret Agent, Allen joue de la batterie avec ce parfait équilibre de rigueur et d’élasticité, reflet d’une personnalité ancrée et adaptable. Il chante aussi d’une voix chaude et caverneuse, presque rassurante. Pourtant l’album est aussi la conséquence d’une réalisation aux allures de mission impossible. Après avoir enregistré les bases de ses morceaux à Paris, où il réside depuis une vingtaine d’années, Tony en écrira les arrangements avec Fixi, son fidèle clavier. La suite relève de l’improbable… “Tout a été organisé par téléphone. J’ai pris des contacts à Lagos, au Nigeria. J’ai réservé un studio, un ingénieur, quelques musiciens, des chanteurs, des choristes. Je ne pouvais pas me permettre d’arriver là-bas sans avoir tout minutieusement préparé. Ce que j’allais enregistrer serait définitif. J’avais deux semaines devant moi et pas le droit à l’erreur.”
Sur Lagos No Shaking, son fabuleux come-back de 2006, Allen avait déjà éprouvé cette méthode à hauts risques qui consiste à ancrer son travail sur deux continents à la fois. Une fois à Lagos, ville-chaos entre toutes, s’engage une course contre la montre. Les musiciens seront-ils présents au jour et à l’heure fixés ? Entre les grèves de transports et les pénuries d’essence, circuler s’avère souvent impossible. Et puis il y a les coupures d’électricité, quasi quotidiennes, une plaie qui voici dix ans a inspiré au batteur un morceau plein d’ironie : N.E.P.A. (acronyme de la compagnie d’électricité nigériane mais qu’il faut entendre ici comme les initiales de “Never expect power again”, “Ne plus jamais espérer de courant”).
Finalement, tout sera bouclé à temps et Tony Allen aura tenu son pari, celui de réunir sur ces onze nouveaux titres le meilleur des deux mondes, l’efficacité et l’intuition, le prévisible et l’impondérable, le digital et l’analogique. Ses musiciens forment un melting-pot d’Africains et d’Européens. Jusqu’à la chanteuse germano-nigériane Ayo qui, invitée sur quatre titres, féminise l’ensemble et symbolise la dualité féconde de ce projet d’ici et de là-bas.
Album : Secret Agent (World Circuit/Harmonia Mundi)
En concert : Le 26 juin à Paris (Solidays), le 11 juillet à Nostang (Les Percussions du monde)
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