Entre Twin Peaks et Buñuel, le chorégraphe Tomeo Vergès nous embarque dans un train fantôme nommé désir, peur, solitude.
« Roulez, roulez, petits bolides, bienvenue dans la maison des frissons, des sensations… » Pas de panique démarre sur fond d’une fête foraine plutôt glauque dans un décor rouge sang zébré de noir. Embarquement dans le train fantôme, la tension monte. Quatre hommes et deux femmes ouvrent les jeux de désir, de frustration, de solitude comme autant de portes à vous ficher la frousse. Cocktails dont on ne sait si la composition se révélera poison violent ou boisson tropicale tables d’opération, viols, accidents, ou tout simplement peur de se perdre soi-même composent ce pas de danse qui n’a rien d’une promenade de santé. Victimes désirantes, bourreaux coupables, tout s’entrechoque, ne laissant au spectateur retourné sur lui-même que le choix d’une descente à travers ses propres obsessions. Il plane sur la scène une atmosphère à la Twin Peaks. La bande-son (remarquable travail de Jean-Jacques Palix et Eve Couturier) donne le tournis, l’ensemble fleure bon la série noire. Les femmes prennent leurs distances, véritables héroïnes hitchcockiennes, magnifiques d’arrogance et de détachement, toujours prêtes d’un joli coup de talons aiguilles à enfoncer les certitudes des hommes qui roulent des mécaniques. Elles sont pourtant fragiles, au moins autant que leurs homologues masculins, qui sous leurs airs de petits coqs laissent paraître les désarrois d’une virilité fatiguée d’avoir toujours à s’affirmer pour convaincre. De temps à autre, une sorte de madison vient rythmer les séquences, petite phase de rémission avant les prochains rebondissements, car Pas de panique a aussi des allures de bande dessinée. Tomeo Vergès, en excellent scénariste, sait faire monter le suspens, manier l’humour et laisser un espace-temps bien dosé pour que vogue l’imaginaire de chacun. Les images s’aiguisent comme la lame du couteau, à l’instar d’une danse anodine qui prend progressivement l’apparence d’une préparation pour un rite vaudou. Chaque personnalité a apporté son univers, et les danseurs de la compagnie, Anna Rodriguez, Chiara Gallerani, Alvaro Morell, Samuel Mathieu et François Grippeau, ont tous de sacrés caractères. Ils s’adonnent à leurs peurs, révèlent, l’air de rien, des secrets que l’on ne confierait qu’à un journal intime, laissant le soin au chorégraphe d’y ajouter sa touche d’inquiétante étrangeté. Tomeo, qui est originaire du pays de Dali et Buñuel, vous porte l’intime sur un plateau en vous l’arrosant d’une délicate sauce surréaliste. Pas de panique affirme un genre où masculin et féminin s’affichent ostensiblement pour mieux brouiller les pistes et questionner sur la part de l’autre. Si le chorégraphe et ses acolytes se jouent des genres, c’est seulement en allant piquer au théâtre pour donner à la danse, et vice versa. Traumatismes de gamins, mémoire collective, délires ou fantasmes, les scènes au fur et à mesure qu’elles s’enchaînent nous ramènent à nous-mêmes. Cortège d’angoisses, futiles pour les uns, obsédantes pour les autres, on panique quand même un peu.
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