Fin de l’entretien avec le songwriter anglais à l’heure où parait son deuxième album, Just Like Blood. En prime en Real Video, un titre live enregistré à la Route du Rock.
Qu’est ce qui te semble si décevant dans le monde actuel ?
Notre premier ministre, un président non élu en charge de la gestion du Monde. Ce n’est pas révolutionnaire, beaucoup de gens ont cette opinion. Je suis déçu par le fait de toujours pouvoir me couper en léchant le rabat d’une enveloppe, je me demande pourquoi personne n’a inventé une meilleure enveloppe. Je me demande pourquoi tous les hôtels ont l’air conditionné, qui généralement ne fonctionne pas. Je me demande pourquoi ma télécommande ne marche jamais. J’ai ce genre de personnalité, beaucoup de petites choses m énervent.
Et je pense qu’on pourrait passer un peu plus de temps et dépenser un peu plus d’argent pour faire les choses ; tout irait alors un peu mieux.
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Et d’où vient cette haine de Tony Blair ?
Pour réellement détester quelqu’un, il faut l’avoir aimer avant, avoir cru en lui. Et avoir été déçu. Il semblait pouvoir offrir une alternative, un changement par rapport aux 18 ans de pouvoir conservateur. Il y a eu un très grand espoir, on se disait à son arrivée « voilà, c’est de lui qu’on a besoin ». C’était très naïf : les gouvernements vont et viennent, mais la politique reste la même. Les gens de notre génération avaient et ont toujours les yeux grands ouverts. De le voir maintenant anxieux mais presque radieux et excité à l’idée d’entrer en guerre contre l’Irak, de le voir présenter ça comme la seule opportunité possible, la meilleure chose à faire, ça irrite un peu. On pensait qu’il changerait les choses, mais il n’est pas différent des autres.
Qui peut alors selon toi changer l’ordre des choses ?
La population le pourrait. Si on décidait tous que pour un jour, une semaine, on boycottait tel ou tel producteur ou magasin, on se passait des services de telle ou telle compagnie pétrolière, on n’achetait plus tel journal, ça aurait un grand impact. Mais les gens s’en foutent la plupart du temps, c’est difficile d’organiser efficacement une telle masse. Ma rébellion personnelle, c’est de ne pas acheter le quotidien The Times. C’est un journal horrible, un de ceux de Rupert Murdoch, c’est comme Sky News ; tout cela ressemble à des publications d’entreprise.
Un autre de tes contrastes : tu parles du pouvoir de la masse, mais tu dis aussi ne jamais vouloir t enfermer un quelconque groupe
On peut faire activement partie de notre monde, on peut faire activement partie de notre démocratie, on peut être un bon citoyen, être responsable, être un bon père ou un bon frère. Mais malgré tout cela, nous restons des individus, séparés les uns des autres. Je suis suspicieux quand les gens se rassemblent, pensent de la même façon, croient de la même façon, vont dans des églises. Entendre des prières me donne l’impression d’être prisonnier de quelque chose. C’est aussi une part de ma nature, cette suspicion pour les comportements de masse.
Peut-on être un bon artiste si l’on n’est pas individualiste ?
Je ne pense pas qu’un artiste puisse développer sincèrement son art dans le mainstream. On peut exceptionnellement faire du mainstream ce qu’on veut, quelques groupes excellents y arrivent. Mais ils sont rares. La communication entre la marge et le courant majoritaire arrive parfois, c’est, je pense, le meilleur art. Mais on veut quand même rester en dehors de ça, l’observer de l’extérieur, et le pénétrer de temps en temps, par accident.
Que penserais-tu de ton public s’il devenait massif ?
J’adorerais ! Je le veux massif, immense, sur une échelle mondiale. Mais malheureusement j’ai précisément choisi le style de musique qui rend ça presque impossible Mais on ne sait jamais’ Je ne suis pas de ceux qui veulent n’être écoutés que d’une poignée d’individus : j’en veux des millions.
J’écris de la musique pour moi-même, c’est la base. Mais quand tu as écrit quelque chose, et que tu le fais paraître, tu ne veux pas être le seul à l’entendre, tu veux que tout le monde y ait accès. Je veux parler un langage que tout le monde puisse comprendre. Je veux l’adoration d’étrangers, je veux que les gens m abordent dans la rue pour me dire « tu as changé ma vie ! » Je veux ça parce que, pour moi, il n’y a aucun intérêt à faire de l’art de manière égoïste. On peut faire des choses intimes et personnelles, mais tout artiste devrait pouvoir sortir de cet égoïsme, crier à la face du monde ce qu’il a envie de dire.
Le succès t’a-t-il donné confiance en toi ?
Je te le dirai quand j’aurai du succès’ Pour l’instant, il est assez circonscrit. Mais effectivement, le succès apporte la confiance. Je pense progresser de ce point de vue, pas d’un manière arrogante, je me sens simplement plus en paix. Je perds peu à peu la peur de ne pas être compris, d’être un échec, de faire des erreurs. Quand on a pas de succès, tu penses que tout ce que tu fais aura un effet, quel qu’il soit, positif ou négatif. Il faut simplement apprendre à ne plus s’inquiéter de ça, ne pas désespérer.
Cherches-tu à combler un manque de confiance du à tes parents, plus concentrés sur leur croyance en Dieu que sur ce que tu fais ?
Non, je ne pense pas avoir trop manqué à un seul moment de confiance J’ai bien sûr eu des moments plus difficiles que d’autres, mais globalement ça allait. Ma principale peur était en fait de voir ce que je dis totalement mal interprété par les gens. Mais si tu dis quelque chose et que tu le dis avec intégrité, tu as toujours une réponse, d’une manière ou d’une autre. Au moins quelqu’un t écoute, au moins tu communiques, c’est un dialogue entre toi et ton audience. Entre moi et ceux qui m inspirent.
Si j’arrivais à un concert en pensant que le public n’a rien à communiquer en échange ; ce ne serait alors pas un concert. Je suis totalement passionné par mon public, en particulier mon public français : ils viennent avec un désir, des attentes, ils prennent pleinement part aux concerts. C’est pour moi créatif. Aller à un concert est très particulier, ce n’est pas aller au théâtre ou au cinéma, où tu t’assois passivement en attendant que ça arrive. On paie le prix d’un concert pour y participer, y prendre part.
Tu parles souvent d’échapper à quelque chose ; à quoi précisément essaies-tu d’échapper ?
À mes propres limites, mes échecs. J’essaie de m échapper de cet inconfort psychologique constant. Je suis plein de désirs. Nous portons tous cela en nous. Mais on ne s’en échappe jamais réellement ; c’est toujours la même personne dans le miroir C’est assez naïf, mais j’essaie de croire que le prochain concert, la prochaine année, la prochaine ville ou la prochaine chanson, sera la bonne. Peut-être que le prochain album sera génial, le prochain concert parfait. C’est évidemment assez faux et dangereux, mais c’est optimiste. C’est plus facile de se sentir enchaîné à son malheur, d’être fatigué ; et encore une fois je suis assez suspicieux dès que la facilité est là?
Quelle est ta conception du bonheur, du malheur ? Penses-tu un jour trouver ce que tu recherches, et qu’est ce que cela signifierait pour ton art ?
Je n’en ai aucune idée, je ne peux définir le bonheur, car quand je suis heureux, je suis dans l’instant, et ça part aussi soudainement que c’est arrivé. Le bonheur est quand même assez indéfinissable, on a souvent du mal à le reconnaître quand il est là.
C’est assez difficile à expliquer, mais je pense qu’il est possible de faire un art intéressant, et être heureux, pleinement accompli ; ça arrive même la plupart du temps. Mais il ne faut pas être content de soi, satisfait, il ne faut jamais penser « Oui, c’est ça, j’ai raison ».
Tu dis avoir peur de ne pas vivre ; n’est-ce pas justement cette obsession qui t empêche de vivre en paix ?
(rires) Excellente question. Oui, absolument. Je n’arrive jamais à être satisfait de ce que je fais. En revanche, ce n’est pas tout à fait vrai quand je joue mes chansons : si je suis bon, j’arrive à être mon propre spectateur et à apprécier, c’est le pouvoir de la musique. Mais tu as raison, ce désir de toujours être bien, de toujours être parfaitement intégré dans son propre quotidien, c’est comme serrer les poings très fort, mais n’y trouver finalement que du sable. Tu as raison, je suis trop cérébral, mon envie de profiter de tout à tout moment est trop forte pour, justement, profiter de quoi que ce soit
Tu as dit tout à l’heure être optimiste, mais tu dis aussi souvent être quelqu’un de pessimiste : encore un autre de tes contrastes ?
Le philosophe italien Gramsci a dit qu’il était optimiste quant à l’intellect, mais pas quant au désir et à la volonté. Il a raison : tu regardes le monde, et tu ne peux pas t empêcher de te dire que c’est de la merde, mais c’est toujours notre monde, je peux toujours croire, croire en moi, je peux choisir d’être ci ou ça. C’est une forme de croyance, mais quelle est l’alternative ?
Crois-tu en Dieu ?
J’en suis arrivé à me dire que s’il n’y avait pas de Dieu, la seule personne que je pourrais haïr serait moi-même J’ai choisi de croire en certains aspects de Dieu, mais je ne trouve aucun indice probant.
Le monde de la musique, ou la représentation qu’on s’en fait, est très différent du monde de prière de tes parents. Que pensent-ils de ton art et de ta vie ?
Mon père a joué mon premier album à un ami à lui, qui est également prêtre. Il lui a dit : « J’ai l’impression que ton fils est un prêtre frustré ». Ma première réaction a été de me dire que c’était faux, que je n’étais pas comme eux. Mais je n’en suis finalement pas si sûr, il y a effectivement dans ma musique des éléments qui renvoient à certains traits de leur personnalité. Je ne crois pas en Dieu, ni en une religion organisée, mais je reste quand même à la recherche d’une certaine spiritualité, quelque chose de plus profond que le simple quotidien. Je ne pense pas que mes parents trouvent que ma musique soit une musique de réaction, contre eux. Ils y entendent la douleur, la déception : c’est quelque chose qu’ils peuvent bien comprendre.
Quelles relations entretiens-tu avec eux ?
Mieux, mieux que ça ne fut. Je ne les vois pas souvent, mais je les ai de temps en temps au téléphone, ils aiment savoir ce qui se passe dans ma vie ; ils viennent parfois à mes concerts. Je pense que l’une des choses les plus importantes à propos de la sagesse de l’âge est de ne pas en vouloir à ses parents. Car ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour leurs enfants, dans leur conception des choses, même quand ils se trompent. Il faut apprendre à pardonner ça, c’est très immature de leur en vouloir quand tout n’est pas allé comme on aurait voulu. Il faut apprendre à accepter ces erreurs et ne pas leur en tenir rigueur, mais aller au-delà de ça. C’est le travail des enfants d’être meilleurs que leurs parents, de faire de meilleurs choix. C’est triste quand ses parents meurent de se rendre compte qu’on a jamais réussi à réellement faire la jonction avec eux.
Qu’est-ce qui pourrait te faire arrêter de chanter ?
La mort, probablement. Si c’est autre chose, je serais probablement déçu. Mais peut-être trouverai-je un domaine dans lequel je suis meilleur, peut-être trouverai-je un art qui me permette de mieux exprimer ce que je ressens, de mieux utiliser cette boule d’énergie que j’ai constamment dans l’estomac. Je vais peut-être gagner une médaille d’or aux Jeux Olympiques, ou monter l’Everest. Peut-être
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