Première partie de l’entretien avec le songwriter anglais à l’heure où parait son deuxième album, Just Like Blood. En prime en Real Video, le clip de A Day Like Today.
Peux-tu nous raconter la genèse de Just Like Blood ?
À la fin 2001, je rentrais d’une tournée aux USA. Je cherchais un producteur pour mon nouvel album, toutes mes chansons étaient déjà écrites. Je voulais être sûr de trouver la bonne personne. J’ai travaillé avec Ben Hillier environ une semaine, je connaissais son travail avec Elbow et Blur. Nous nous sommes rencontrés, on s’est un peu cherché ; mais je savais qu’il était le producteur dont j’avais besoin. J’ai en revanche dû attendre trois mois avant qu’il ne soit réellement disponible. Je suis resté à Londres, j’ai écrit quelques chansons supplémentaires. Nous avons commencé à enregistrer en février 2002, et fini en juin.
Quels ont été les principaux changements, de méthode, musicaux ou dans les thèmes que tu abordes ?
Cela reste quand même toujours le même type de chansons, à propos d’amour, de mort, de déceptions. Mais cette fois, j’ai voulu que tout cela sonne légèrement différemment, que mes chansons aient un aspect plus coloré. Je ne voulais pas simplement une production plus étoffée, plus « professionnelle », mais je voulais offrir des ambiances différentes de celles du premier album. Je voulais voir si mes chansons pouvaient fonctionner dans un système musical un peu différent. J’étais très conscient de la nécessité de ne pas me répéter, je ne voyais pas l’intérêt de refaire un disque comme le premier. Ce n’était pas un processus intellectuel, je ne voulais pas être comme Bowie et tester toutes les postures possibles : je voulais juste me surprendre moi-même. Je voulais trouver une manière d’y trouver de nouvelles facettes de ma personnalité.
As-tu essayé de t impressionner toi-même ?
M impressionner moi-même Oui, je pense, en effet. Je ne peux me sentir pleinement satisfait d’une chanson, trouver que son écriture a été un succès, si je peux l’écouter à nouveau sans gêne, et surtout en me disant que ça ne ressemble pas à ce que je suis. « Ah, c’est bon ! Comment a-t-il fait ? »
Peux-tu toujours faire ça avec le premier album ?
Je ne l’ai pas écouté depuis longtemps. Ce que je disais à l’instant est vrai uniquement quand je travaille sur les chansons, j’ai quand même beaucoup de mal à revenir ensuite dessus. J’ai vraiment du mal à réécouter ce premier album, il y a trop de choses qui ne me satisfont qu’à moitié, trop de défauts qui m agacent. J’aurais trop envie de reprendre les choses là où je les ai laissées et de refaire ce qui ne va pas.
Comment pourrais-tu définir Just Like Blood ?
Le premier album était très « noir et blanc », même la pochette l’était, tout dessus était noir ou blanc. Je voulais donc des couleurs, mais pas des couleurs réalistes. Je voulais des couleurs presque irréelles, trop brillantes, incongrues. C’était un univers différent, mais tout aussi étrange que celui de mon premier album.
Que sais-tu de ton public ?
Ils ont tous des bras, des jambes et me ressemblent en cela un peu. Ils sont différents partout où je vais. Mais le principal à propos de ce public est que je sens qu’ils désirent quelque chose de différent de ce qu’on leur offre tous les jours, au travers des médias, la pop-culture, les politiciens. À ce niveau, ils cherchent tous la même chose.
Pourquoi ce retour à des choses plus profondes et intelligentes ?
Les gens en ont marre de toute cette culture jetable, et sans sens. Ils recherchent autre chose. Mais c’est à ça que ressemble la vie : on peut très bien écouter Britney Spears, trouver ça drôle et cool, et dans le même temps adorer mettre un disque de Tom MacRae. Le monde vieillit, nous étions il y a encore peu des jeunes rebelles, mais il ressemble aujourd’hui à quelqu’un entre deux âges ; déçu, se demandant constamment « Mais pourquoi ai-je donc fait ça de ma vie ? ».
Pourquoi, selon toi, touches-tu tant tes auditeurs ? N’est-ce pas parfois étrange d’avoir autant d’importance dans la vie d’individus ? Est-ce une pression quand tu écris ?
Oui, c’est parfois un peu étrange. Mais je ne comprends pas le désir de ne pas être ça, de ne pas essayer de toucher les gens, de simplement les divertir, d’écrire des chansons sur la sensation d’avoir une copine bien roulée en bikini. J’imagine que ce sont des choses « cool », si tu vois ce que je veux dire, mais je veux toucher les gens comme j’essaie de me toucher moi-même.
Je veux écrire des chansons qui me fassent ressentir quelque chose, quoi que ce soit. C’est, je pense, vrai de mon public, et de tous les artistes que j’aime, et qui me font cet effet sentimental.
Ce n’est pas une vraie pression, encore une fois je ne suis guidé, quand j’écris, que par moi-même. Qu’est ce qui m intéresse ? Qu’est ce qui me touche ? Je ne joue pas à calculer ce genre de choses, par rapport à mon public. Tout le monde, moi en premier, se rendrait compte de ça, ce serait parfaitement artificiel et ça perdrait de sa saveur. Et ça m imposerait de répéter encore et toujours les mêmes recettes, ce serait une prison. Je ne pense donc qu’à moi, j’essaie d’avancer, c’est tout.
Tu as dit vouloir effectuer un changement de rôle pour ton dernier album : est-ce une manière d’être là où les gens n’attendent pas à te trouver ?
Oui, d’une certaine manière. Les gens pensent pouvoir se faire une idée assez précise de qui on est en lisant simplement la presse. C’est comme si on ne pouvait pas changer, évoluer : ceci est toi, et à jamais. Comme Bowie disait : « Je suis la personne que les gens pensent que je suis ».
C’est quelque chose que j’ai peut-être essayé de changer, mais pas d’une manière intelligente ou calculée, simplement par la musique. Il faut éviter de tomber dans un confort facile : « Ceci est Tom McRae, voici un nouvel album de Tom McRae, voici ce qu’il est ». Je préfèrerais être surpris si j’étais mon propre public, trouver dans mes disques plusieurs Tom McRae.
Penses-tu toucher l’universel avec tes paroles ?
Une partie d’universalité, peut-être. Je l’espère en tout cas. Si on essaie d’être honnête, si on essaie pas de toute sa force d’être autre chose que soi-même, une rock-star, une image, les gens le sentent aussi.
Quels changements dans ton inspiration a provoqués ton déménagement de Suffolk à Londres ?
Je suis un homme de contraste, et c’en fut un particulièrement fort Venant de la campagne, j’ai été un jeune homme très isolé, très seul. La ville, Londres, représente l’excitation, le danger, les opportunités. C’est comme de marcher sur la planète, et de voir tout à coup surgir une ville de la terre. Il y a du sexe, du danger, de l’argent. Peut-être allais-je devenir une star, peut-être allais-je me faire tuer. J’aime ça, cette énergie, c’est vital pour moi. C’est très différent du rythme lent de la campagne, qui peut aussi être très beau, spirituel, et d’une certaine manière plus « réel ». Reste que j’aime beaucoup le côté déjanté de la ville.
Tu étais frustré à la campagne, mais tu as été semble-t-il aussi frustré à Londres’
Pourquoi ne trouve-je jamais le repos ? Pourquoi vivons nous, pourquoi nous battons nous ? Tous les artistes manquent de quelque chose, c’est une évidence.
Quand tu es frustré, c’est endémique, tu le reste et rien de peut combler ça. On se lève toujours en étant la même personne. Je ne peux jamais laisser ça derrière moi. Mais la frustration est bien sûr quelque chose dont j’ai besoin. Je la nourris. Ca peut être assez destructeur de ne pas se servir de cette force. Il m arrive d’être bien, d’écouter un disque, de me promener ; puis je rentre et mets les news, je sens alors parfois un fort désir d’écrire. Ce n’est pas une manière malsaine de procéder, mais il existe bien entendu d’autres manières de trouver la paix. C’est comme d’être toxicomane, alcoolique ou sex-addict : ça remplit une face de ta personnalité, ça comble un manque.
Tu aimes donc le risque, de mettre dans des situations difficiles’
Oui. Je me sens plus vivant comme ça. Je ne suis pas un rockeur, je ne sors pas boire et prendre des drogues chaque soir, mais il y a de nombreuses manières de se mettre en danger. J’aime les situations conflictuelles, j’aime les engueulades. Je n’aime pas la violence, mais un peu d’incompréhension peut-être utile, car de ça peut sortir quelque chose de nouveau. C’est souvent en atteignant ses propres limites qu’on peut passer à autre chose, approfondir un peu sa pensée.
Cherches-tu ces conflits dans ta vie personnelle, amoureuse, et est-ce une source d’inspiration ?
C’est encore l’un de mes paradoxes : je suis très heureux dans ce secteur de ma vie, depuis longtemps. Je n’aime pas écrire de chansons d’amour de manière traditionnelle, c’est facile, et tout le monde le fait, souvent mieux que moi. Quel intérêt ?
Mais se servir des aspects les plus glauques de la vie donne, je trouve, beaucoup d’intérêt à l’art, et ça passionne les gens. Regarde Paul McCartney et John Lennon : tout le monde pense que John Lennon est un génie, mais c’est simplement parce qu’il est mort, tragiquement. C’est injuste. Mais ça fonctionne toujours comme ça.
Beaucoup de gens se présentent comme des individus tristes, étranges, torturés. Mais ça sonne très souvent faux, c’est une posture assez facile. Je ne veux pas devenir cela, ou être vu sous cet unique angle, je ne veux pas voir dans la presse « Tom McRae, le prince sombre »?
Que penses-tu alors de ta représentation dans les médias ?
J’ai été accueilli avec sympathie dans la plupart des médias, on m a donné ma chance. Mais je pense qu’il y a tout de même eu une certaine méprise : on me voit comme un poète tragique, comme quelqu’un qui finirait forcément par se suicider après l’enregistrement d’un album triste. Je ne suis pas réellement comme ça. J’ai de mauvais jours, j’ai de bons jours ; j’ai souvent des périodes un peu sombres, mais je porte encore en moi beaucoup d’espoir, de joie, j’ai encore une grande passion pour la vie, pour la musique bien sûr. La mélancolie n’est pas pour moi une prison. On me décrit comme un déçu de la vie : certes je suis quelque part déçu, ça peut toujours être mieux, mais j’aime quand même toujours ça. Nous sommes tous complexes, nous traversons tous des sentiments très contrastés, je ne suis pas différent des autres.
On peut être très déçu par le monde actuel, mais la vie n’arrive qu’une fois, on n’a qu’une chance. Et j’ai une bonne vie, que j’apprécie ; j’essaie de faire tout ce que je peux pour me sentir bien, pleinement réalisé. J’essaie de faire en sorte d’être sûr de savoir que ce que je fais est ce que je dois faire. C’est une source de joie et de plaisir.