Si on n’attend plus vraiment de génie de Bob Dylan, on n’attendait pas un album à la hauteur de Together Through Life.
Dans le rock, il y a deux écoles de vie. Le collège Robert Johnson, on y meurt tôt avec un diplôme de mythologie éternelle, comme l’ont fait Janis, Brian, Jimi, Jim, Elvis, John ou Kurt. Et puis le lycée Muddy Waters, on y vieillit lentement comme un vin de garde, avec plus ou moins de grâce, comme le font Mick & Keith, Iggy et Lou, Bruce et Neil. Bob Dylan est de cette seconde école, où un parcours musical se mesure à l’aune d’une vie complète. Et quand cette vie en musique est de l’ampleur et de l’impact de celle de Dylan, on continue de prêter une oreille à ses disques, malgré l’infernale accélération du monde.
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La bande de bon vieux crocodiles réunie autour de l’icône (Mike Campbell, David Hidalgo, Tony Garnier…) déroule un blues-rock compétent et décontracté, parfois parfumé d’accordéon et de mandolines, exhalant de délicats effluves bayous ou latinos. Comme souvent, Dylan laboure dans les deux sens la route Memphis-New Orleans, matrice du rock. Les textes ne vont pas non plus tutoyer les cimes rimbaldo-ginsbergiennes du Dylan des sixties. Tout au plus note-t-on un possible regard vers la mort dans Beyond Here Lies Nothing (“Au-delà d’ici, il n’y a rien”), éventuelle suite à Knockin’ on Heaven’s Door.
L’essentiel de cet album est ailleurs. Dans la voix. Bien sûr, il y a toujours ces inflexions de grand-mère tubarde ou de chèvre aphteuse qui agace tant de monde, jusqu’aux dylanophiles certifiés de mon genre. Mais le timbre est aussi grave, profond, rageur, parfois au bord de l’essoufflement, incarnant la dernière ligne droite d’un bonhomme qui porte en lui, malgré ses dénégations, toute l’histoire du rock, de la culture populaire et de l’Amérique de ces cinquante dernières années. La force de ce disque est là.
Together Through Life (“Ensemble à travers la vie”) : Dylan évoque peut-être là sa femme, ses musiciens, ses chansons… Ou nous, ses auditeurs. Simple chanteur rangé du génie, Dylan ne refera jamais de chefs-d’œuvre de rupture. Mais à force d’enquiller des bons disques (celui-ci est dans la moyenne haute), de continuer modestement le boulot en ayant survécu à Blonde on Blonde, en s’inscrivant dans la durée sereine après les années de fulgurance, on se rend compte que c’est une vie, la sienne, la nôtre, qui a passé.
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