Musicien fantasque et cannibale, le génial Américain Todd Rundgren rejouait sur scène à Londres l’une de ses œuvres les plus sidérantes des années 70, A Wizard a True Star. Nous y étions et c’était pas triste -la preuve par le récit, et quelques vidéos de ses concerts maboules.
C’est un événement que l’on a fantasmé plusieurs mois à l’avance en réservant fébrilement des tickets pour une mission à haut risque. Todd Rundgren, démiurge américain mythique et notoirement siphonné, allait rejouer à Londres l’une de ses œuvres phares des années 70, A wizard a true star, paru en mars 1973 et considéré à juste titre comme l’un des disques les plus extravagants d’une époque qui les comptait pourtant par douzaine.
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Le moment enfin venu, il aura fallu d’abord endurer une douloureuse épreuve, Rundgren ayant choisi d’assurer lui-même sa première partie à la barre d’un quatuor électrique remonté comme une pendule. Todd l’imprévisible présentait donc dans cette formule brute de décoffrage un futur album de reprises du bluesman faustien Robert Johnson (1911-1938), soit un set vite laborieux de blues rock adipeux, heureusement limité à trente minutes.
[attachment id=298]Une autre demi-heure pour changer de décor, et l’Hammersmith Apollo allait enfin porter dignement son nom et entraîner l’assistance (constituée essentiellement de quadras et quinquas, majoritairement de sexe masculin) dans une véritable expérience cosmique, au-delà du bon et du mauvais goût, loin de toute norme raisonnable, pile là où Rundgren a toujours laissé culminer son inspiration délirante.
On s’attendait à tout, même au pire – avec son groupe Utopia, Todd a souvent outrepassé les bornes du prog-rock pompier -, mais sans doute pas à cette entame, le wizard débarquant dans les fumigènes en cosmonaute, pour un International Feel annonciateur du grand show transformiste à suivre.
Au moyen d’un tunnel disposé au fond de la scène, il va ainsi pendant plus d’une heure aller et venir, changeant d’accoutrement à la vitesse de la lumière – Monsieur loyal en queue de pie, diva emplumée, crooner en complet orange et chemise en satin assortie etc. – entre presque chacun des dix-neuf titres de sa grande odyssée burlesque. Son groupe, constitué de pointures d’un autre temps – The Tubes, The Cars – exécute tout de blanc vêtu cette partition inouïe, déjà totalement déjantée pour son époque et qui fait encore en 2010 passer Animal Collective pour un aimable orchestre de dixieland.
On n’a jamais bien saisi le propos de AWATS, sinon qu’il porte d’un regard schizophrène sur l’incompatibilité entre l’avant-garde et le vedettariat, cette bipolarité étant reliée par un long medley de reprises soul (Curtis Mayfield, Delfonics…) au final particulièrement hystérique. Véritable survol kaléidoscopique de toute l’histoire de la musique populaire ayant précédé, en 1973, cet accouchement orgasmique, le concert montre encore une fois combien Rundgren aura à travers lui cherché à cannibaliser et à dévoyer cette histoire dans une mise en scène aussi folle que celle de Phantom of the paradise.
Il est fort à parier d’ailleurs que De Palma, dont le film sortit un an plus tard, ait emprunté a A Wizard a true star ses dons de sorcellerie sonore et visuelle, lesquels provoquent toujours les mêmes étourdissements à 37 ans de distance. Ce qui nous ramène à Faust, et donc un peu à Robert Johnson, donnant in fine une cohérence inattendue à cette sidérante soirée.
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