Dylan revient d’entre les morts avec un album crépusculaire et joliment désenchanté, où il ose se montrer nu : avec des bourrelets, peu de nerfs mais beaucoup de bile. Certains observateurs situent la rupture d’anévrisme peu après la sortie de Oh mercy, l’album mis en brumes par Daniel Lanois en 89. D’autres croient déceler dans […]
Dylan revient d’entre les morts avec un album crépusculaire et joliment désenchanté, où il ose se montrer nu : avec des bourrelets, peu de nerfs mais beaucoup de bile.
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Certains observateurs situent la rupture d’anévrisme peu après la sortie de Oh mercy, l’album mis en brumes par Daniel Lanois en 89. D’autres croient déceler dans la période papiste (Slow train coming) les premiers signes de l’entrée graduelle dans un coma « actif » que seuls de rares spasmes de grandeur, échos tardifs d’une combustion poétique peu commune, laissaient croire réversible. Les moins charitables voient même dans l’accident de moto de 1966 l’acte que l’auteur de Highway 61 aurait bien été inspiré de ne pas manquer. Signe avéré d’une réelle et constante baisse de régime : pendant que Bob Dylan continuait de continuer, la frange orthodoxe de ses admirateurs manifestait moins d’entrain à dépecer ses chansons comme des lapins, à scruter leurs entrailles pour en arracher l’oracle. On a fini par trouver plus de paille que de sang sur les pistes. Progressivement, sa création a rétréci pour cesser d’être cet espace illimité dans lequel on pouvait vivre, aimer et travailler ; travailler à combler le mystère qu’elle persistait à maintenir entre elle et nous.
Il y avait dans cette vaine poursuite comme le désir illusoire de vouloir labourer la mer.
Ces dernières années, l’affaire Dylan a donc donné l’impression d’être classée. Que doit-on encore attendre de Dylan ? Si sa première partie de carrière, il l’a consacrée à déjouer l’attente de son public, passant du folk au rock et du rock à la country avec une brutalité provocatrice qui permit de confondre ceux qui souhaitaient le voir à jamais figé dans le plâtre de leur propre conformisme, son dernier acte, en revanche, il le jouera engoncé dans les bandelettes d’une momie ventriloque. Dylan est devenu sphinx endolori, magicien au-dessus de la sauvagerie et pèlerin en route vers la mort. Désormais, plus rien ne compte, ni les interrogations relatives à une carrière qu’il a renoncé à mener ni l’orgueil d’un génie qui ferait aujourd’hui moins de monnaie dans le métro que n’importe quel busker albanais massacrant Blowin’ in the wind. Dylan est aux fraises, naze, lessivé, vieux, chiant, quoique nimbé d’un indestructible halo de gloire. En fait, Dylan a tout raté. Les punks ont préféré prendre Neil Young pour parrain. Le revival folk a profité à Springsteen. Cohen décline avec grâce et humour, et surtout, il plaît encore aux femmes. Même le retour de son ancien nain de jardin, Donovan, fait événement. Jusqu’à Robbie Robertson, son Nicolas Sarkozy, que le remixer Howie B vient d’enrôler. How does it feel, Bobbie Suffisamment mal pour faire de Time out of mind un superbe crépuscule tantôt rougeoyant, parfois lugubre, un chemin de croix gravi dans la solitude, le doute mais aussi le détachement, et qui pèse d’une fatigue lourde de plusieurs vies consumées dans une seule écorce de chair. La différence réside dans l’acceptation d’une entropie qu’il tentait il y a peu de dominer, faisant croire qu’il avait encore des choses importantes à nous dire, une autorité de sénateur du rock à faire valoir. L’inconsistance de certains textes paraît ici vouloir résoudre par la résignation l’identité du poète à l’heure de la déchéance du verbe, de son usage métaphorique. Il ose enfin se présenter à poil, des bourrelets à l’abdomen, sa tronche de Harpo Marx périmé pour chanter de maigres blues aliénés qui mettent en scène sa virilité déclinante, une sentimentalité au comble du pathétique et un ennui incommensurable semblant désormais meubler ses vieux jours. Dans Standing in the doorway, il feint de ne pas savoir pour qui sonnent les cloches du beffroi alors que ce glas est le sien. Voilà un album qui pourrait plaire aux esthètes de l’abandon, les Palace et autres Cowboy Junkies sur qui cette voix d’outre-tombe, grinçant à l’ombre des petites orgues de la désincarnation, fera effet. Il remuera sans doute les cendres de quelques coeurs brûlant jadis de mille joies dans l’attente du « nouveau » Dylan et qui se consoleront dans cette image tirée de Visions of Johanna, là où rôde à jamais le fantôme de l’électricité, un pied sur l’autoroute et un autre dans la tombe, se souvenant que celui qui n’est pas occupé à naître est fatalement occupé à mourir.
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