Avec « Sincerely, Future Pollution », le groupe de Taylor Kirk assume son récent goût pour la pop indie des années 1980. Un disque dominé par l’intime et un sens inné de la narration.
C’est sur les rythmiques métalliques et les textes sensuellement insidieux de Velvet Gloves & Spit que s’ouvre le nouvel album de Timber Timbre. Après les années 1960 revisitées façon mémoires d’outre-tombe (Creep on Creepin’ on, 2011), les trips cinématographiques seventies de Hot Dreams (2014), au tour des années 1980 d’être triturées par le groupe de Montréal. Cette fois, la tête pensante Taylor Kirk a laissé un peu plus de latitude à ses deux camarades, Simon Trottier et Mathieu Charbonneau.
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Remises en cause existentielles
Pourtant, c’est seul qu’il assure la promotion de Sincerely, Future Pollution. Comme s’il assumait ses mélodies torturées et ses remises en cause existentielles. Nous nous entretenons chez son label parisien, durant une froide journée de février. Il boit du sirop à la bouteille pour vaincre une toux persistante, avoue subir quelques somnolences avant de répondre avec une sincérité désarmante, à nos questions.
“Je me sens plus heureux qu’à mes débuts, annonce-t-il. Pendant longtemps, je ne comprenais pas pourquoi il fallait faire des interviews, des photos… j’étais tétanisé. Je reste toujours mal à l’aise, mais j’ai appris à apprécier de parler de mon travail. Parce que si je ne le fais pas, qui pourra me défendre ?”
Enregistré entre Montréal et les studios de La Frette-sur-Seine près de Paris, où Timber Timbre s’est amusé à essayer “beaucoup d’instruments excentriques, des guitares rigolotes, des synthés vintage, des objets étranges”, Sincerely, Future Pollution témoigne d’une richesse d’exécution, qui, même en explorant les terrains groovy du funk, notamment sur Grifting et Skin Tone, lui insuffle une noirceur peu habituelle dans les formations rock actuelles.
On la trouve aussi chez Wim Wenders, dont le sens du silence et du fantastique influence Kirk depuis toujours. Idem pour les incursions cérébrales et lunaires du côté de la French Touch, quasi inconscientes : “Je n’avais jamais beaucoup écouté Air, Sébastien Tellier, Daft Punk. C’est au moment du mixage de l’album que j’ai réalisé la proximité de leur son avec certains de nos nouveaux titres.”
Musique synthétique et blues abyssal
Outre le fait d’habiter une ville en partie francophone, Kirk connaît bien la France, un des territoires les plus favorables à sa musique et patrie de Lou Doillon, dont il a produit le deuxième album, Lay Low.
“J’avais d’abord refusé de travailler avec Lou, raconte-t-il, car j’avais peur que ma sensibilité esthétique ne prenne trop le dessus. Mais elle m’a dit qu’elle acceptait le jeu. A Montréal, Lou a été très généreuse et a choisi de me faire confiance – ce qui m’a encouragé à lui offrir le meilleur. Nous nous sommes beaucoup amusés. Elle est l’incarnation du cool français… Là où je lui dois beaucoup, c’est qu’elle m’a donné envie d’être producteur pour d’autres artistes, ce que je refusais d’envisager auparavant.”
Avec un public plus élargi, Kirk aurait donc pu reprendre la même recette que ses deux derniers albums. Or, son orientation “synthétique” en surprendra plus d’un, bien que le blues organique et abyssal de Timber Timbre persiste jusque dans les vibrations de la voix de Kirk.
“C’est comme si Future Pollution témoignait de mes mauvais goûts tabous que je n’avais pas osé explorer. Je voulais revenir à un format d’album où l’histoire se raconte au fil des pistes, avec un son plus dance, sans être disco ou house, qui s’apparente aussi à la blue-eyed soul façon Young Americans (album de David Bowie sorti en 1975 – ndlr). Pourtant, j’ai toujours détesté les années 1980. Enfant, j’adorais Michael Jackson, Vanilla Ice, les Guns N’ Roses… avant de tout lâcher pour écouter exclusivement du rock des années 1970. C’est Simon et Mathieu qui m’ont sensibilisé à Talk Talk, Talking Heads ou Suicide, dont on entend les échos sur l’album.”
Le constat d’une société narcissique
Au-delà de la veine bleu nuit – qui est aussi le nom d’un de ces nouveaux morceaux, rehaussé de vocodeur – de Sincerely, Future Pollution, se dessine un constat d’une société narcissique, dévorée par l’urbanité et les réseaux sociaux, qui peine à trouver son identité ou, tout simplement, la sérénité nécessaire pour repenser son existence. “Cela fait du mal aux gens, soupire Kirk. Cette fausse distraction a contribué à l’échec de la démocratie et à ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis.”
Une allusion à Trump vite balayée par la timidité de Kirk à aborder franchement la politique, car l’intime reste au centre de son inspiration :
“J’étais dans une période de transition durant l’écriture de l’album, d’où mon obsession d’en soigner la forme. Ma vie personnelle n’a jamais été véritablement construite, c’est même l’opposé… Je souffre d’une forme de bipolarité, et seule la musique s’est avérée être un traitement efficace.”
Lorsqu’il dit que tout est perdu dans le titre Moment, en est-il convaincu ? “Non, il y a de l’espoir. Se remettre de tous nos traumas va prendre du temps ; nous relèverons la tête.” Et l’écoute de Sincerely, Future Pollution devrait aider à panser nos blessures.
Concert le 17 avril à Tourcoing (Grand Mix) et le 19 avril à Paris (Cigale).
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