Trois ans se sont écoulés depuis l’enivré Drunk, et le troubadour interstellaire n’a toujours pas la gueule de bois. En témoigne ce quatrième album, idéal pour danser en tenue afrofuturiste dans l’espace.
Stephen Lee Bruner aimerait croire de tout son cœur en son talent naturel. Il semble pourtant persuadé de devoir le confronter à d’autres personnalités pour lui offrir tout son potentiel. Presque instinctivement, l’Américain botte ainsi en touche lorsqu’on lui parle de don inné et, en même temps, refuse d’y croire. Peut-être parce que ce talent ne lui a pas permis pendant longtemps de mettre de l’argent à la banque.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Peut-être aussi parce que Thundercat sait parfaitement ce qu’il doit à Steven Ellison, alias Flying Lotus, “mon meilleur pote”. “Il a toujours été là, dans les moments difficiles comme les plus heureux. Et puis c’est tellement naturel entre lui et moi. On avance à l’instinct, en totale confiance, en étant à chaque fois persuadés de pouvoir en sortir quelque chose de spécial.”
C’est précisément en raison de cette quête d’inédit que Thundercat, visiblement horrifié à l’idée d’être de ces musiciens tellement enfermés dans le confort qu’ils en perdent toute notion créative, a rassemblé autour de lui un prestigieux casting : Childish Gambino, Kamasi Washington, BadBadNotGood, Louis Cole, Ty Dolla $ign ou Steve Lacy.
“Faire appel à tous ces artistes n’a rien d’un caprice, précise-t-il, presque sur la défensive. Selon moi, c’est même la meilleure façon d’ouvrir des perspectives. Black Qualls, par exemple, n’aurait jamais sonné de cette façon sans l’apport de Steve Lacy. D’ailleurs, il est temps que les gens se rendent compte de son importance : on a affaire ici à un musicien qui résume à lui seul la puissance orchestrale des Ohio Players.”
Ce dernier aveu n’a rien d’anodin : il dit à quel point Thundercat n’a pas le goût de la compétition. Il sait que la présence d’un musicien extérieur au projet suffit parfois à clarifier les pensées et est persuadé de partager avec tous ces artistes des influences communes.
Les comics, les anime japonais (un des pics émotionnels de l’album se nomme Dragonball Durag) et, indéniablement, le son groovy, chaleureux et synthétique des années 1980. “C’est toujours bon de se replonger dans le son des décennies passées pour comprendre la façon dont les musiciens travaillaient la mélodie et envisageaient les orchestrations”, dit-il avec fierté.
Efficacité pop et discours en phase avec l’époque
Un artiste qui assume visiblement ses velléités passéistes sans jamais se confondre avec elles : oui, Thundercat admire le processus créatif de formations telles que Slave (pas pour rien si l’icône funk Steve Arrington fait partie des invités), mais à ces méthodes de production ancestrales It Is What It Is donne ici un tour résolument contemporain, parsemant les quinze morceaux de sonorités et de discours en phase avec notre époque.
Ce que raconte ce quatrième album, c’est en partie la vie des Afro-Américains en Amérique, et plus particulièrement à Los Angeles, d’où il est originaire :
“Je suis très heureux d’être né ici, très fier de mon enfance, mais je ne peux pas ignorer non plus l’existence des gangs, due à de fortes inégalités, ou le racisme que l’on subit encore très régulièrement. On évolue constamment entre des hauts et des bas, sans jamais avoir l’impression d’être réellement en sécurité. Regarde Pop Smoke : il a suffi d’un post Instagram où il disait qu’il était à Los Angeles pour qu’un taré cherche à cambrioler son domicile et à le tuer au passage…”
Sur It Is What It Is, cette conscientisation du propos ne vire jamais au moralisme pénible ni au pamphlet révolutionnaire. Thundercat sait qu’il n’est pas un artiste d’exception en termes d’écriture, mais qu’importe. Les mots, chez ce troubadour interstellaire (Lost in Space, Innerstellar Love), sont avant tout au service de la mélodie, qui ne vise rien d’autre que l’efficacité pop, les effluves afrofuturistes, une forme d’hédonisme funky soutenu par une basse sophistiquée, un groove implacable et des arrangements épris d’élévation.
I Love Louis Cole, Miguel’s Happy Dance, Funny Thing ou même Black Qualls : tous ces titres confirment ici l’ambivalence d’un musicien capable de la pire noirceur (dans le fond) comme de la plus sympathique et entraînante légèreté (sur la forme).
“J’ai toujours voulu mettre au point une musique sur laquelle on puisse danser. Petit, j’en rêvais, et c’est quelque chose que les gars de Suicidal Tendencies m’encourageaient déjà à développer lorsque je tournais à leurs côtés à mes débuts. C’est resté, et c’est une idée que j’ai réussi à pousser plus loin sur ce nouvel album. C’est pour ça qu’il y a des mélodies très rythmées, très intenses, avec beaucoup de changements de structures. Ça me permet de garder l’esprit vif.” Thundercat confesse : “J’aimerais que mes albums aient la fantaisie de ceux de Frank Zappa ou André 3000”. Avant de conclure : “It Is What It Is est un projet qui m’a fait grandir.”
It Is What It Is (Brainfeeder/PIAS) Sortie digitale le 3 avril
{"type":"Banniere-Basse"}