Les Throwing Muses, plus affûtées et plus concises sont redevenues l’espoir américain d’il y a cinq ans. Kristin Hersh et sa gouaille ont retrouvé moral et inspiration après deux années de dérive.
Il y a deux ans, Ivo, le patron de 4ad, nous a signés sur wea pour le monde, exception faite de l’Angleterre. Il savait comme nous que c’était horrible mais c’était pourtant indispensable pour notre carrière aux Etats-Unis, pour qu’on soit compris et que nous augmentions nos ventes. Les indépendants vivent des temps difficiles là-bas, ils ne peuvent pas ? contrairement à ce qui se passe ici ? pousser un groupe au-delà du cercle très restreint des initiés. Une major a par contre les moyens de faire de la promotion autour de nos disques, peut permettre à un groupe comme nous de toucher une audience plus large, ce qui signifie concrètement que le groupe a les moyens de vivre de sa musique et de laisser tomber les petits boulots. Je sais aussi qu’en Europe, le disque n’a pas été sorti, en ce sens cela fait un trou de presque trois ans dans notre carrière ici.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Aux Etats-Unis, cela vous a-t-il au moins permis de dépasser le stade du groupe de college radio ?
Nous avons explosé, n’as-tu rien entendu ici ? (Rires)? Nous sommes maintenant dans la catégorie alternative commercial’, c’est l’étape juste après le statut de college radio band’, c’est-à-dire que nous sommes diffusés sur des college radio à vocation plus commerciale. Ça signifie concrètement que nous sommes relativement connus mais que les gens n’achètent pas encore nos disques (rires)?
Avez-vous, comme les Pixies, REM ou d’autres groupes américains, obtenu crédibilité et succès en Europe avant les Etats-Unis ?
Ça ne se passe pas vraiment comme cela. Ces groupes ont obtenu la même attention en même temps, de chaque côté de l’Atlantique. La différence, c’est qu’aux Etats-Unis, et contrairement à l’Angleterre, il n’est pas possible de susciter un intérêt immédiat après avoir été repéré par les médias. Chez nous, on peut très bien avoir un papier important dans un journal local sans qu’il y ait pour autant de retentissement national. D’ailleurs, cette attention médiatique que les Anglais nous ont accordée a plutôt joué contre nous : il y avait un petit côté arty et les Américains nous ont d’abord pris pour un groupe britannique (rires)? Notre premier album n’est d’ailleurs toujours pas disponible chez nous ; il y a donc frustration, mais ce n’est pas à moi de me lamenter sur les effets médiatiques. J’essaie simplement de faire ma musique du mieux possible, tant pis si les choses ne vont pas comme je le voudrais.
As-tu retenu quelque chose d’avoir été confrontée dès tes débuts à la presse et à la scène anglaises ?
Nous sommes sur un label anglais, nous avons donc essuyé nos feux médiatiques là-bas, mais je n’ai jamais rien eu en commun avec les groupes anglais, je leur suis étrangère. Nous venons de Boston et je me sens plus en phase avec sa scène. L’Angleterre fourmille de bons groupes et surtout ils ont une presse qui s’intéresse à eux. En Amérique, il n’y a pas de presse accessible pour les groupes qui ne sont pas dans le Top 40, à l’exception de fanzines qui ont certes de bons critiques mais qui ne peuvent pas avoir de diffusion massive à cause de la taille du pays. Le public américain veut des groupes qui n’aient pas l’air arty. Tous ceux à la recherche de groupes underground ne tolèrent pas le moindre soupçon de prétention : dès que la pochette n’a pas l’air naturelle mais artistique, ils se détournent du disque. Les pochettes ont toujours été une source de conflit avec 4ad car on ne voulait surtout pas passer pour un groupe arty, d’une part parce que ce n’est pas représentatif de ce que nous sommes et aussi parce que ça pouvait être dangereux pour notre avenir en Amérique.
Nous vivions tous sur la petite île près de Newport qu’on appelle l’île aux Rupins’ (rires)? C’est dans l’état de Rhode Island, où nous avons grandi ensemble, sauf Leslie qui a été élevée en Californie et n’en est revenue qu’au moment où le groupe s’est structuré. Elle est d’ailleurs aujourd’hui repartie vivre là-bas et a été remplacée par Fred Abong dans le groupe. Vers l’âge de 14 ans, Tanya et moi avons commencé à jouer, les autres nous ont rejoints un peu plus tard mais comme il n’y avait pas de clubs ni de scène à Newport, nous avons été obligés de partir pour la grande ville la plus proche. Ce fut d’abord Providence, une ville étudiante d’où sont originaires les Talking Heads, puis Boston. Boston est plus une ville pour le rock’n’roll, elle nous convenait mieux que le public des étudiants en art de Providence (sourire)? Boston est une ville très conservatrice, on n’imagine pas a priori qu’elle ait des quartiers où l’on trouve des clubs et une vie nocturne. A la limite, il n’y a même pas de places, de jardins où les gens peuvent se rencontrer, pas de nature non plus. Boston est une ville fermée. Pourtant, il existe des centaines de groupes mais ils viennent d’une grande banlieue, plus dure, ou d’Awston, où l’on peut vivre sans un sou. C’est là que nous habitions, dans des maisons en bois de trois ou quatre étages et près des coffee-shops où le petit déjeuner est bon marché (sourire)? Nous sommes donc allés à Boston en tant que groupe, dans le but d’y jouer le plus souvent possible et de se faire remarquer pour avoir des articles et pour signer un contrat. Moi, j’étais enceinte mais les autres avaient des petits boulots. David, par exemple, s’occupait de la maison d’un architecte, à moitié chauffeur de madame, coursier et secrétaire.
Etiez-vous perçus comme un groupe de filles ?
Je ne sais pas. Il est certain que la presse généraliste américaine nous voyait comme cela. Par contre, et contrairement à la plupart des groupes de filles qui existaient depuis dix ans, nous ne jouons pas sur une image sexuelle. La plupart s’adressaient aux hommes en jouant la carte sexy soft ou en les imitant dans une caricature grossière. Je n’ai jamais eu ces tentations dans la mesure où ça ne me venait pas naturellement. Le fait qu’il y ait une femme qui compose dans ce groupe est important : celui-ci fonctionne et sonne féminin sans pour autant être gnangnan et chétif.
Cette image féminine était-elle un atout ?
Probablement. Je ne m’en souviens pas vraiment. Par contre, il est certain que nous avions une approche et une attitude féminines, alors que les filles qui jouaient dans d’autres groupes ? et il y en avait beaucoup ? avaient des poses très rock’n’roll, elles n’étaient pas du tout féminines dans leur comportement. Et je ne peux pas les en blâmer, il y a tellement d’a priori du genre le rock est un truc de mecs’? Ça ne veut pas non plus dire que nous évoluions dans un registre acoustique, notre premier album est assez représentatif de la façon dont jouaient pas mal de groupes autour de nous. Notre musique n’était pas basée sur le folk ; je n’ai entendu parler de cette étiquette qu’en Europe. Aux Etats-Unis, ce mot n’a jamais été prononcé à notre égard. Nous étions comparés aux Pixies, un peu plus tard. Il faut ajouter que nous étions assez inconscients, assez imperméables à ce qui se passait autour de nous, nous n’avions pas le sentiment d’être différents.
Pourtant, même si vous le réfutez, votre musique semble trouver ses racines dans le folk.
La musique que nous adorions, c’était celle de X ou de Violent Femmes. Quoique ça n’ait en aucun cas été notre motivation pour monter un groupe. Ça s’est fait très naturellement, il m’est donc difficile de citer des influences profondes, elles m étaient très naturelles : j’entendais, j’essayais de reproduire à ma manière. J’écoutais principalement du blues, moins de folk dans la mesure où je ne sais pas ce qu’on définit ainsi, ce que vous définissez ainsi en Europe. Est-ce le folk des sixties ? C’est-à-dire, non pas Woody Guthrie mais le rock qu’on ne peut pas nommer ainsi pour ne pas le confondre avec le heavy-metal. Ça, c’est votre définition du folk. Chez nous, c’est un gars avec une guitare acoustique qui chante des protest-songs (rires)?
Cette espèce de naïveté face à l’histoire de la musique et ce qui se passe autour de soi est très caractéristique des groupes américains, à l’opposé des Anglais.
Je ne veux pas mettre en doute la sincérité de qui que ce soit, mais en Amérique le style n’est jamais la motivation de départ d’un groupe. Je crois qu’on ne peut pas se faire un nom à soi si on se préoccupe du style, si on cherche à imiter quelque chose d’existant. Je ne pourrais. Et puis le style est un vilain mot en Amérique.
Comment avez-vous franchi l’étape suivante de votre carrière, être signés et faire des tournées ?
Notre signature sur 4ad s’est faite très naturellement et rapidement, après l’envoi d’une cassette. Mais on ne pouvait pas se permettre de tourner. Pendant l’enregistrement du premier album, j’étais enceinte, et mon bébé est né avant sa sortie. Nous n’avons donc pas fait de concert pour sa promotion. Notre premier grand concert a été en support des Cocteau Twins à l’époque du maxi Chains changed et nous n’avons pas fait de tournée américaine avant le second album.
Etait-ce facile d’être musicienne et d’avoir un bébé, qui plus est si jeune ?
Non. Ce n’est pas ainsi que j’aurais aimé planifier les choses (rires)? Et ça a évidemment été très dur. Mais ce sont tous deux mes bébés, le groupe et Dylan. Il fallait que je sois attentive aux deux à la fois (silence)? Si mon enfant avait été une fille, c’est moi qui aurais choisi son prénom ; là, c’est son père qui l’a choisi mais pas du tout en hommage à Bob Dylan. Bien que peu courant, Dylan est un prénom Tout cela a été un peu difficile à gérer mais le bébé était beau, le groupe était bon, c’était donc surtout beaucoup de travail et d’attentions.
Pourtant, malgré cet enfant et ta jeunesse, tes chansons étaient assez violentes.
Je ne peux pas expliquer grand-chose à ce propos, c’est ainsi que les chansons me parviennent. J’assume le fait que cette violence est en moi, dans mes chansons, de même qu’il y a une violence chez tout un chacun. Elle n’était pas spécialement le résidu d’une révolte adolescente. Malgré des moments un peu fous, j’étais une adolescente plutôt fier à bras, même si cela n’a pas laissé de séquelles aujourd’hui. C’est vrai que, lorsque j’ai commencé, le désir d’exprimer cette violence intérieure a pu être une motivation, bien que je n’aie jamais considéré que je devais exprimer mes sentiments dans la musique. Je pensais plutôt donner corps à quelque chose qui n’en a pas. C’était comme s’il fallait trouver un corps pour un fantôme. Lorsque j’étais plus jeune, ces corps devenaient moi ; j’étais leur éponge, je leur offrais ma personnalité. Mais, c’est quelque chose que je ne ferais plus aujourd’hui. Même s’il s’agit toujours d’exprimer un sentiment, je me concentre plus sur celui de la chanson même.
Comment, à 14 ou 15 ans, pouvais-tu déjà savoir ce que tu voulais réellement exprimer dans une chanson ?
Je ne sais pas le pourquoi de la chose (rires)? Ça m’est tombé comme cela sur le coin de la tête ; très jeune, j’ai appris la musique et j’ai commencé à écrire des chansons sans même savoir pourquoi. A 14 ans, je me suis vraiment posé la question, sans pouvoir y répondre, et j’ai pris conscience que c’était ce que je voulais faire. A cet âge-là, tu es déjà bien concerné avec ce problème du choix de ce que tu vas faire dans la vie (sourire)? C’est une période cruciale de l’existence, je sentais nettement ces fantômes me forcer. S’ils ne s’étaient pas exprimés au travers de chansons ? quelles que soient leurs valeurs ?, ils auraient pu prendre forme avec les mathématiques ou avec le cinéma. La chanson me semblait être le meilleur moyen pour canaliser mon inspiration. Même si je ne composais pas toujours de la bonne manière, ce qui venait dans la chanson était un savoir que je sentais dans’ l’air (sourire)? Je faisais trop d’erreurs en laissant les morceaux jaillir seuls, venir d’eux-mêmes, et c’est devenu pire quand j’ai commencé à me sentir concernée. Maintenant, ça m’est égal, je les laisse venir mais ils n’affectent plus jamais ma vie.
Même Hook in her head, qui est étrangement primaire dans un album plutôt mature ?
C’est une chanson que j’ai écrite à l’époque du premier album et que j’avais laissée de côté parce que je n’étais pas sûre qu’il fallait l’écrire Aujourd’hui, avec le son qu’elle a, elle est apparue nécessaire pour cet album, elle a trouvé son potentiel. Ça ne veut pas dire qu’elle soit une erreur, mais je ne voudrais pas l’avoir écrite maintenant. Peut-être correspondait-elle aux violences que je me suis imposées l’an dernier L’année a été assez pénible : j’ai divorcé, j’ai dû me battre pour garder mon fils et j’ai fait une dépression nerveuse.
Ne travaillais-tu jamais tes chansons ?
Je ne le faisais jamais, mais je crois quand même que je mettais un peu de moi-même dans les chansons bien que je ne pense pas que ce soit la bonne solution. Je crois que les gens n’ont pas besoin de m’entendre parler de moi. Maintenant, je ne mets plus rien de mes propres sentiments dans l’écriture : je ne ressens une chanson que parce que je l’écris et que je deviens cette chanson, mais désormais je ne suis plus aveuglée par mon ego ou par autre chose (silence)? Habituellement, j’apporte la chanson toute faite, les autres n’interviennent pas. Je ne suis pas très favorable au processus d’écriture collective, ce que l’on entend sur le disque est quasiment ce que j’ai apporté au groupe. C’est une façon de travailler assez étrange puisqu’elle ne laisse pas la batterie et la basse être les fondations sur lesquelles on construit la chanson. Même si je crois être ouverte à la critique et que les autres se sentent dans une atmosphère de liberté, je ne suis pas très démocrate.
{"type":"Banniere-Basse"}