Depuis vingt ans Thierry Kuntzel brasse les genres et questionne le temps et la perception. A Bourges, il expose Une Lettre qui cherche la lumière quand les mots sont épuisés.
Il a le timbre de voix de Jean-Luc Godard et le rire de Roland Topor : à 51 ans, Thierry Kuntzel est un artiste exalté. « Je suis un fan de Lou Reed, je dois avoir à peu près tout de lui, mais je suis aussi un grand spécialiste de la variété… Véritable accro de l’image, j’étais capable de regarder les séries les plus terribles, alors je n’ai plus de télévision chez moi. C’est quelque chose dont je me méfie à présent. Quant aux livres, je lis absolument tout. C’est la constante. Je n’arrête pas de lire, tout comme je n’arrête pas d’écrire : j’écris, j’écris… c’est une pulsion, même si ce n’est pas toujours pour en faire quelque chose. » Artiste méconnu, et pourtant unanimement salué depuis le début des années 80 par la critique (Raymond Bellour) et les artistes vidéo (Bill Viola), ses premières réalisations ont imposé un style : des vidéos dépeuplées et sans événement. Ses installations, très épurées, prolongent son questionnement sur le temps et la perception : des pièces obscures et silencieuses, des images en train de disparaître ou réanimées par un effet de morphing, des passages à fleur de peau sur le corps d’un modèle… Lui chercher une filiation relève de l’exercice de style : « Je ne veux pas me situer. Godard disait merveilleusement « ne pas être un professionnel de la profession ». Il y a des choses qui me troublent et qui viennent de mille endroits. Lire un texte de Mallarmé, voir un fragment de film, regarder par la fenêtre… Le brassage des genres me passionne, je n’ai pas envie d’être le Nouveau cinéma français, ni le Vieux cinéma français, je n’ai pas envie d’être Vidéo… La littérature, la philosophie, le cinéma, la peinture, tout cela est brassé dans mon travail. » Dernière installation en date, Une Lettre, un projet en maturation depuis plus de cinq ans. Le déclencheur : le Château d’eau à Bourges, un bâtiment construit au xixème qui sert aujourd’hui de lieu d’exposition. « J’ai travaillé à partir de ce lieu qui est devenu pour moi une sorte d’espace mental : la circularité, la division en semi-cellule, la possibilité de circuler sur deux niveaux, de voir de loin et de près. » L’installation est inspirée de la Lettre de lord Chandos d’Hugo von Hofmannsthal, une lettre imaginaire rédigée par lord Chandos à Francis Bacon (le philosophe) s’excusant d’avoir cessé toute activité littéraire : les mots ne suffisant plus à rendre compte des choses. « Etre devant une pure perception, c’était le problème de Chandos. Pendant très longtemps, je me suis demandé si cette lettre était une simple voix off, des bribes de discours. Et puis je me suis dit « C’est le texte, il est là, on le lit ou on ne le lit pas, ça n’a aucune importance… Je pensais prendre les images du texte (une herse à l’abandon dans un champ, un chien au soleil, une petite maison de paysans…), mais très vite, je me suis rendu compte que ça ne fonctionnait pas. » Résultat : treize moniteurs, treize plans immobiles de paysages campagnards, proches de la photographie. « Je voulais aller au bout de ce processus qui était de ne plus avoir le moindre montage, le moindre élément de post-production. Avec le chef-opérateur, on a repéré des paysages en fonction de la lumière. On a passé du temps à chercher la lumière tout simplement. » Une Lettre, un cercle de treize moniteurs installés comme des stations obligatoires où « le texte est éclairé par l’image qui remplace les fenêtres absentes du bâtiment ». Une déambulation comme dans une sorte de circuit panoramique. Un pur moment de contemplation du temps qui passe.
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