Avec un deuxième album plus abouti, les trois filles de Theodore, Paul & Gabriel continuent d’explorer un répertoire chic et hors du temps. Rencontre, critique et écoute.
« On avait conscience de la difficulté de l’exercice. La peur de décevoir était très présente. Mais finalement, la fameuse mythologie du deuxième album, on a décidé de s’en moquer un peu avec notre titre.” Quand Clémence, la chanteuse du groupe, parle de We Won’t Let You down (“On ne vous laissera pas tomber”), elle mesure le chemin parcouru depuis les débuts d’un projet lancé avec son amie Pauline, guitariste.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Quand le hasard les fait se rencontrer dans un bar parisien en 2009, la musique n’est qu’une petite partie de leur vie, une sorte de passe-temps social – le coup de la guitare en soirée, on connaît. 2015 : Theodore, Paul & Gabriel sortent leur deuxième album et s’apprêtent à remplir le Bataclan, à Paris, pour la toute première fois.
La vie d’un groupe de rock
Entre les deux, elles ont sorti un premier album (Please Her, Please Him, 2012), connu l’effervescence des tournées et même retouché le casting de la formation. Théodora, bassiste depuis le début de l’aventure, quitte en effet le groupe en 2014 pour laisser la place à Louise, une nouvelle venue au sein de ce trépied décidément féminin. Après tout ça, pas étonnant de retrouver Theodore, Paul & Gabriel avec un nouvel album plus abouti, c’est-à-dire plus écrit, plus fouillé, plus dense que le précédent.
“Ce qu’on a vécu après le premier album nous a poussées à écrire de façon nouvelle. Quand on écrit avant de connaître la vie de musicien, la vie des tournées, la vie d’un groupe de rock, on est un peu enfermé dans le fantasme de l’écriture d’une chanson. Dans une certaine ignorance, aussi. Il y a désormais une logique supplémentaire dans notre travail. De nouvelles choses nous ont influencées. Les tournées sont d’ailleurs l’occasion d’écouter beaucoup de musique dans le camion.”
Sous l’influence de Pauline, Clémence se met ainsi à écouter davantage de groupes contemporains (notamment Lana Del Rey, Haim, les Strokes…), et ne reste plus scotchée à ses premières amours lorgnant vers les années 60 et 70 – de Crosby, Stills & Nash à Fleetwood Mac en passant évidemment par les Beatles. Mais Clémence sait exactement ce qu’elle recherche dans une chanson. Elle a une vision précise de ce qu’est la pop – un registre plutôt qu’un genre, une sorte de BO du quotidien, un répertoire intemporel et infini.
On comprend d’ailleurs mieux la musique de Theodore, Paul & Gabriel après ces quelques mots : “J’aime les mélodies de certaines époques passées. Elles sont courageuses et osées, mais elles ont l’humilité de rester des petits morceaux de deux minutes trente, dont le seul objectif est de nous accompagner, sans aucune prétention. Cette simplicité me touche énormément.” Que demander de plus à une pop-song ?
L’art complexe des chansons simples
La force de Theodore, Paul & Gabriel, c’est donc sa solide légèreté. Proposer des chansons simples, avec des couplets et des refrains, quelques errances instrumentales et des mélodies qu’on peut retenir : un art complexe que trop de groupes actuels semblent avoir cessé de viser. Dans We Won’t Let You down, on retrouve donc logiquement des petits tubes pas pompeux mais bien écrits, richement arrangés, dont la couleur chaude vient du studio State of the Ark de Londres, où les filles sont parties enregistrer dans les conditions du live.
De l’élégant Darling (Darling) au fougueux Does It Matter Now, du rêveur In Our Dreams au slow malin Inky Girls, du langoureux Soul Train au lynchien Another Sun, tous développent des idées de songwriting pas tape-à-l’oeil, mais dont l’efficacité fera lever le sourcil à ceux qui, jusqu’ici, n’avaient pas remarqué Theodore, Paul & Gabriel dans le paysage français. A ce propos, Pauline raconte :
“Ça reste difficile d’imposer un groupe de filles ici. Etre chanteuse avec un groupe de garçons, c’est plus facile. Il y a une quantité de mecs qui s’arrogent le droit de dire qu’on est leurs petites protégées… Une attitude qu’ils n’auraient pas si on était des mecs. C’est assez pénible.”
Clémence poursuit :
“Il y a présomption d’incompétence quand on est une femme… Les gens demandent qui a écrit le solo de guitare, par exemple… Le simple fait de monter sur scène en étant une femme est une revendication implicite.”
Comme quoi, on peut aussi attendre d’une pop-song qu’elle change le monde.
Concert le 26 mars à Paris (Bataclan) puis en tournée
{"type":"Banniere-Basse"}