En mars 1967, le premier album du Velvet Underground détrousse le rock de son innocence. Avec The Velvet Underground & Nico, Lou Reed déplace l’ennemi pour soudain le situer à l’intérieur. D’où cet album scandaleusement inconfortable et sournoisement conceptuel, dont sept des onze chansons traitent de l’obsession, cette sombre prison de l’âme. Et le font […]
En mars 1967, le premier album du Velvet Underground détrousse le rock de son innocence. Avec The Velvet Underground & Nico, Lou Reed déplace l’ennemi pour soudain le situer à l’intérieur. D’où cet album scandaleusement inconfortable et sournoisement conceptuel, dont sept des onze chansons traitent de l’obsession, cette sombre prison de l’âme. Et le font avec une éloquence si pernicieuse que l’époque, éperdue de libération(s), se bouche aussitôt les oreilles. Car la paranoïa (Sunday Morning), la dépendance à la dope (I’m Waiting for the Man, Run Run Run, Heroin), le masochisme physique (Venus in Furs) ou mental (Femme Fatale) et la boulimie de mondanités (All Tomorrow s Parties) n’ont pas leur place dans la bulle utopique des flower children.
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Mais, s’il précipite l’écroulement d’un monde factice, The Velvet Underground & Nico en crée surtout un autre. Car cet album, où il n’est question que d’emprisonnements, va libérer le rock de toutes ses conventions morales et harmoniques. Et initier ainsi une formidable révolution esthétique. Si le son venimeux enracine au cœur même du rock les stridences d’un Manhattan en ébullition, et endiable les soliloques hallucinés de Lou Reed (dont le thème fétiche sera toujours celui de la conscience en guerre contre elle-même), un songwriting céleste et cérébral interdit à l’album de se laisser aspirer par le maelström bruitiste qu’il déchaîne. Car, les scintillements sensuels d’une écriture éprise de poésie, l’élégance de mélodies d’albâtre et les équivoques d’un chant, où l’émotion est malicieusement passée au filtre de l’ironie, font de The Velvet Underground & Nico l’album le plus mystérieux de l’histoire du rock ? un astre obscur, dont la lumière noire conserve aujourd’hui intact son insolite pouvoir d’éblouissement.
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