Au sommet de la gloire internationale et un second album presque bouclé, les Ting Tings ont décidé de n’en faire qu’à leur tête, de dire fuck à leur label et de tout jeter à la poubelle, pour mieux recommencer. Ils racontent tout de cette drôle d’histoire.
Est-ce même quelque chose que vous cherchez à éviter ?
Non, pas à éviter, pas du tout. Ca ne doit simplement pas être notre objectif, jamais. Ca ne l’était pas avant, ça ne l’a pas été non plus cette fois.
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Peut-on parler d’un geste politique, anti-système, quand vous avez effacé ces morceaux ?
Non, il était plus question de sauvetage, de salut. Nous ne faisions pas ça comme une rébellion, on n’a pas agi contre le label, on y a de très bons amis. Mais ça tenait à nous, en tant qu’artistes : nous ne voulions pas être placés, contre notre gré, dans une quelconque petite boîte.
Vous n’avez jamais eu peur de tout perdre ? Votre carrière, votre inspiration ? Vous saviez qu’il y avait quelque chose derrière, que vous seriez capable d’écrire autre chose ?
Katie : Je crois qu’on avait peur avant d’effacer les morceaux. C’est au contraire le fait de le faire qui nous a libérés. Ce qui est intéressant est que ça s’était déjà passé à l’époque de Dear Eskiimo : les choses n’allaient pas, on savait que ça ne menait nulle part, on était déprimés, mais une fois virés du label, l’excitation, les idées, le désir sont revenus. Il faut parfois s’imposer un peu de chaos pour trouver des émotions.
Après l’effacement de l’album, vous vous êtes à nouveau délocalisés, en Espagne… Qu’y cherchiez-vous ?
L’isolation, à nouveau. Et le soleil ; Berlin est une ville tellement froide…
Jules : On aime se créer des espaces, pour travailler, des endroits particuliers, très pensés. C’est quelque chose d’instinctif. Et, instinctivement, on a fini par sentir que plus rien ne pouvait se passer dans celui qu’on s’était créé à Berlin. Le meilleur était passé. C’est pareil sur scène. Imagine que tu joues, un soir, un show de 59 minutes et 30 secondes. Puis, le lendemain, le même show de 59 minutes et 30 secondes. A chaque fois que tu lances tel beat, les gens deviennent dingues. OK, mais six mois plus tard, ça n’a plus rien d’artistique : ça fait juste partie d’un spectacle. Quand on part en tournée, on répète très peu, vraiment très peu. Il n’y a pas de playback, de bandes, pas de click pour le rythme : les choses peuvent donc devenir assez vite légèrement chaotiques. Notre équipe nous dit « Vous devez répéter ! Vous n’avez pas fait les choses comme d’habitude hier soir ! Vous avez changé ce truc et je ne savais plus quand te donner ta guitare ! » Mais pour nous, c’est parfait comme ça.
Vous avez besoin de chaos…
On a besoin de chaos. Il fait partie de ce groupe. Tout est toujours un peu ric rac, les concerts, les enregistrements, la promo, les relations avec le label… C’est la question même de l’art, de son existence. Pourquoi l’art existe-t-il ? Pour créer des problèmes. Pour induire le chaos. Si tout dans nos vies était parfait… On a besoin de ces questions, de ces soucis.
Qu’aviez-vous en tête quand vous avez commencé à écrire en Espagne ? Vous parliez de chaos, qui est un terme qui colle bien à Sounds From Nowheresville, très éclectique…
Katie : On était très obsédés par Paul’s Boutique des Beastie Boys, on adore cet album. Et on voulait faire un disque qui ressemble plus à une playlist qu’à un album, qui aille dans tous les sens, qui ne sonne pas comme le son d’un seul groupe. Et je crois justement qu’on a pu le faire parce qu’on se sentait totalement libres, sans obligation de sonner comme les Ting Tings du premier album.
Jules : La frustration a été une bonne arme, aussi. We Started Nothing a été nourri par la frustration d’avoir été viré de Mercury avec Dear Eskiimo. Mais au tout début du processus du deuxième album, nous n’avions plus ce carburant ; on était peut-être un peu fatigués, il y avait l’inconnu de Berlin, mais rien de plus. Mais qui veut entendre la chanson d’un groupe qui te dit « Salut, j’ai eu un tube platiné, je suis tranquillement installé sur une plage en train de boire du champagne, et toi ça va ? » Tout le monde s’en fout ! Mais c’est quand les problèmes ont commencé, quand on a effacé ces morceaux, qu’on s’est remis à écrire, en étant cette fois satisfait de ce qu’on faisait. Cette complexité des relations avec les labels, le fait que l’industrie se mette de toute façon entre toi et ton public, que tout ça finit par te bouffer un peu l’âme : tout ça a été un bon carburant pour nous remettre à créer.
Vous avez quand même une relation assez directe à votre public, justement ; c’est l’un de vos fans qui a dessiné la pochette de Sounds From Nowheresville, qui vous représente en zombies…
Katie : Oui, on ne voulait pas que le label prenne en charge le design de la pochette. On est allés dans une école d’art, on est allé voir les étudiants, on leur a joué notre musique, on leur a expliqué ce que nous étions, on leur a montré des vidéos, et on leur a demandé de plancher sur un visuel. J’adore celui qui est sorti de ce processus.
Mais c’est une pochette est assez peu glamour, j’imagine que le label n’a pas du être ravi…
Sans doute pas, non. En même temps, ils nous ont toujours dit qu’on devrait mettre nos visages sur la pochette, parce que ça vend mieux : voilà, on l’a fait. (rires) Mais le label était encore plus effrayé par autre chose : on a fait planer à un moment l’idée que notre album s’intitulerait Kunst. Ce qui veut dire « art » en allemand, mais ce qui sonne surtout comme « cunt » en anglais ; une des pires grossièretés qui soient…
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