Au sommet de la gloire internationale et un second album presque bouclé, les Ting Tings ont décidé de n’en faire qu’à leur tête, de dire fuck à leur label et de tout jeter à la poubelle, pour mieux recommencer. Ils racontent tout de cette drôle d’histoire.
L’expérience avec Mercury a donc, au final, été plutôt positive pour l’indépendance du groupe…
Jules : Sans doute, mais nous ne le savions pas à l’époque. On était quand même en colère, on en a fait des chansons, That’s Not My Name par exemple, on a rencontré de nouvelles personnes, des gens extraordinaires, comme Rob Stringer ou Mike Pickering par exemple. Rob Stringer nous a signés, il gère Sony et Columbia, et c’est un homme qui a construit une entreprise qui héberge des artistes, pas de simples produits, pas que des stars. Il sait ce que ça veut dire, et il nous a beaucoup supportés. Je ne sais pas ce que va devenir l’industrie de la musique, mais je sais qu’on a tous besoin de gens comme ça, c’est fondamental qu’il existe des endroits où les artistes sont pris pour ce qu’ils sont, sont choyés, des structures où on leur laisse le temps de se développer, de se faire une carrière.
Quand tu dis que Sony vous a pas mal supportés, c’est même dans les deux sens du terme… Vous avez toujours été très durs avec le label, non? Il y a cette histoire de clip extrêmement cher que vous avez finalement rejeté, de démos que vous avez refusé de leur donner pour une version deluxe de We Started Nothing… Et bien sûr l’effacement pur et simple des premières démos du second album…
Katie : L’isolation et l’indépendance sont des besoins pour nous. On aime que nos chansons passent à la radio, mais il est hors de question pour nous que les choses nous échappent, qu’on n’ait pas la main sur tout ce qu’on fait. Ce clip qu’on a refusé était le tout premier pour nous, sans doute celui qui a fait de nous les control freaks que nous sommes. Beaucoup d’argent a effectivement été investit, avec un réalisateur célèbre, un type très doué d’ailleurs, mais ça ne fonctionnait tout simplement pas. C’était même affreux : on avait chacun notre petite caravane, on y restait assis toute la journée, jusqu’à ce qu’on vienne nous chercher pour cinq minutes, pour faire ci ou ça. On se sentait tellement détachés de ce clip, on n’y était sentimentalement pas liés du tout. Donc on l’a rejeté. Mais à notre crédit, on est arrivés quelques jours plus tard avec notre propre clip, tourné nous-mêmes, financé avec les 6000£ qui restaient de notre avance, qu’on a refilé au label. Ca a toujours fonctionné comme ça. Et sans poser de problèmes insurmontables : après avoir effacé notre « premier deuxième » album, à Berlin, nous sommes allés, un peu penauds, dans le bureau de Rob Stringer, on lui a fait écouter nos nouveaux morceaux, et il a adoré, il nous a tout simplement dit « Vous avez déjà eu votre succès, c’est bon, vous avez toujours été un groupe indé qui a connu une poignée de tubes, donc continuez comme ça, je m’en fous si ça ne me rapporte pas un penny, faites ce que vous voulez! ».
Jules : L’histoire des démos qu’on a refusé de leur donner est assez simple : on fonctionne d’une manière simple, on enregistre cinq titres, on les écoute, on en jette trois, on ne garde jamais ce qui ne nous convient pas. Le type du label est passé à un moment où les morceaux étaient encore tous là, mais deux semaines après, il ne restait que celles qui allaient se retrouver sur l’album… « Mais bon dieu, qu’est-ce qui s’est passé ? On les aimait ces chansons, elles étaient terminées ! » Il ne s’était rien passé de particulier, de notre point de vue : on s’était juste débarrassés de ce qu’on n’aimait pas. Ils ont donc très vite compris que le groupe était indépendant, et ne pouvait être géré que comme tel. C’est à mettre à leur crédit : nous laisser cette liberté est quand même un risque, eux sont là pour faire de l’argent, c’est leur boulot, ils ont besoin de tubes, ils n’ont pas vraiment le temps de laisser les groupes se développer. Ils ont eu nos chansons entre les mains, on leur a dicté notre manière de faire, ils devaient se dire « Merde, on pourrait en vendre encore trois fois plus… » Nous n’étions pas prêt pour ça : on veut exister dans la durée, prendre notre temps, établir une vraie relation avec nos fans. Ce sera encore plus vrai avec notre deuxième album, on a vraiment tous les paramètres en mains. On veut être meilleurs sur scène, on veut faire toutes les vidéos nous-mêmes, pour chaque morceau.
Katie : Le problème a été de rappeler que le processus avec le second album ne serait pas forcément le même qu’avec le premier, puisque c’est nous qui allions en décider. Les chemins ne sont pas encore tracés pour nous. On n’a pas vraiment voulu nous asseoir et capitaliser sur notre succès. Avoir du succès serait cool, mais on n’est pas partis de là.
Le label pouvait donc s’attendre à ce qui s’est passé à Berlin, quand vous avez décidé d’effacer des morceaux qui leur plaisaient, un album presque entier et quasi-fini…
Jules : La grande différence est que pour le premier album, le label n’a été impliqué qu’à la toute fin. On a fait les trucs de notre côté, on leur a présenté des morceaux terminés, et c’était tout. Pour le second album, ils étaient là dès le début. Ils ont senti le besoin de nous surveiller un peu, d’envoyer des gens nous voir à Berlin régulièrement, pour nous dire à quel point ils adoraient ce qu’on était en train de faire. Et on n’était pas habitués à ça. On avait créé notre petite bulle, dans un club de jazz que nous avions loué. Et soudain des gens arrivent, on a dix chansons, ils nous disent « Ce morceau sera votre plus gros tube, celui-là va faire un carton en radio! » On n’avait même pas terminé les titres en question ! Et, d’un coup, ça devient un peu paniquant : est-ce qu’on aime les chansons parce que quelqu’un nous a dit qu’ils sont bons, ou est-ce que ça vient purement de nous ?
Katie : Et une fois que cette opinion s’est forgée dans ton esprit, il n’y a aucun retour possible, tu es comme… contaminé. La seule option que nous avions alors était de tout effacer. Purement et simplement. C’était, si on voulait continuer à se sentir artistes, la seule chose que nous pouvions faire.
D’un point de vue extérieur, ça semble difficile à comprendre : vous avez des chansons, on vous dit qu’elles sont excellentes, mais vous vous sentez obligés de tout recommencer…
Jules : Les chansons n’étaient même pas finies ! On passe des heures et des heures à travailler dessus, on se dit « Tiens, j’aime bien ces paroles, cette mélodies colle bien » puis on en discute jusqu’à quatre heures du matin, et le lendemain on change ce qu’on trouvait bon la veille… Mais si quelqu’un s’intercale dans ce processus, il ne s’agit plus que de nous deux, il y a un parasitage qui a forcément un effet sur notre relation à nos chansons. Même si quelqu’un est dans la pièce quand tu joues un morceau, qu’il ne dit rien mais qu’il tire la tronche, ou qu’au contraire il bat véhément la mesure, ça a un effet, c’est une forme de parasite. Il faut que les choses soient pures. On savait quels risques on voulait prendre. On savait quel challenge on voulait s’imposer ; ça aurait été facile de refaire le même album, et le label nous aurait sans doute remercié, de tout son coeur… Mais nous, en tant qu’artistes, qu’est ce qui pouvait nous satisfaire ? Sur cet album, il y a des chansons qui nous font faire « wow! », notre propre « wow! » est ce qui compte en premier, et ça n’a été possible que parce qu’on s’est arrachés pour elles, qu’on a retrouvé une totale indépendance. C’était du boulot, et on s’est éclatés à le faire ; In Your Life, la dernière chanson de Sounds From Nowheresville, a été enregistrée à Brooklyn, à Williamsburg, avec un violoncelle, dans la rue, avec juste des micros. On n’aurait pas pu faire quelque chose comme ça si on était restés en studio à écrire des copies de nos tubes, comme des machines.