Au sommet de la gloire internationale et un second album presque bouclé, les Ting Tings ont décidé de n’en faire qu’à leur tête, de dire fuck à leur label et de tout jeter à la poubelle, pour mieux recommencer. Ils racontent tout de cette drôle d’histoire.
C’est une bonne ou une mauvaise chose, de ne pas être des « politiciens » ?
Jules : C’est la seule chose qu’on sache faire. Je crois que les gens commencent à peine, lentement, à comprendre ce que sont les Ting Tings. Ces histoires autour du deuxième album, le fait d’avoir jeté nos démos à la poubelle, le fait d’avoir tourné pendant deux ans, donc d’avoir permis à beaucoup de gens de nous voir autrement que par l’image abstraite qu’ils pouvaient se faire du groupe.
Katie : Et ces questions d’image sont difficile à saisir quand on est au coeur du truc : on ne cherche plus ce que l’on dit de nous sur Google, on vit notre vie, c’est tout. On a écrit des chansons, on les a jouées sur scène, pendant deux ans ; et après ces deux années, on pouvait encore regarder les gens dans les yeux en ayant la certitude d’avoir été honnêtes dans ce qu’on avait fait, sans avoir l’impression d’avoir manipulé le monde d’une manière ou d’une autre. Vraiment, la scène nous révèle plus que tout autre chose. Quand on joue sur scène, si l’un d’entre nous est crevé, nous sommes le pire groupe du monde, et ça se voit. On ne feinte pas.
Jules : Rien n’est jamais tout à fait lisse, quand on joue sur scène. Je ne sais pas si on peut vraiment parler de chaos, mais on aime que les choses aient tendance à se barrer un peu n’importe comment. On adapte les choses, les morceaux, on essaie de faire varier les shows. C’est une bataille, permanente. Et c’est la même chose quand on est en studio : on n’arrête jamais d’essayer des choses. Je crois que cette éthique du travail fait partie de notre identité, que les gens le comprennent ou pas.
Katie : Je pense vraiment qu’on est restés en contrôle en permanence. Heureusement, d’ailleurs : je peux comprendre en quoi les Ting Tings peuvent être un peu irritants, et si quelqu’un nous avait vraiment pris en charge de A à Z, on aurait sans doute sombré dans ce seul aspect.
Jules : Oui, nos chansons peuvent vraiment par nature être poussées dans un monde ultra commercial, le label nous choisit un énorme producteur, qui lisse tout pour que tout ait l’air fantastique, parfait, pour fabriquer des tubes. Mais on fait tout nous-mêmes.
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Que pouvez-vous me dire, justement, de cette attitude DIY ?
On est tous les deux des working class people, on a vu nos parents bosser très dur, on n’a jamais cru qu’on allait raconter une histoire drôle, prendre une photo ou écrire une chanson et que le monde allait en retour nous donner des millions de livres. Cette célébrité ne nous a jamais fait sentir plus créatifs : on est plus connus, ça ne change rien au reste. Donc dès le début, dès le premier groupe, Dear Eskiimo, qui a été signé sur Mercury avant qu’on nous mette à la porte, on avait cette notion de mérite, on savait qu’on allait bosser dur pour essayer de faire de bonnes choses.
Le carton du premier album n’a rien changé à ça…
Katie : Pas vraiment, au contraire. Quand on s’est arrêtés, on a passé six mois en pause, et on se sentait embrumés, presque déprimés : nos corps réclamaient de bosser à nouveau, on devait se remettre à créer, à écrire, à faire quelque chose. On a eu des moments assez sombres, à Berlin.
Est-ce que ça peut avoir un rapport avec la pression de savoir, justement, que tout allait recommencer ?
Peut-être un peu, et je crois qu’au fond de nous-mêmes, on savait tous les deux que ce ne serait certainement pas facile d’enchaîner, de passer à la suite.
Jules : Tu peux imaginer : on est en tournée, l’album cartonne, le monde entier est à nos pieds dans le sens où on peut jouer absolument partout. Les choses sont devenues globales : tu joues un concert à minuit en Europe, tu sors de scène, et d’un coup du dois appeler l’Australie pour une interview, tout devient très étrange, tu es en pleine activité dans le monde entier alors que tu devrais dormir, puis tu prends un avion, tu pars dans un autre fuseau horaire… C’est assez déstabilisant. Et ce qui est excitant devient… même pas un job, c’est bien pire que ça : quand tu as un travail normal, tu as des week-ends, des soirées, alors que là c’est sans fin, sans ordre. C’est comme Noël tous les jours. C’est agréable pendant quelques semaines, mais après deux mois, quel enfer. Ca devient ta norme, ta vie, et ça finit par n’avoir plus rien d’agréable.
Katie : Quand les choses ont commencé à exploser pour nous, j’en suis même tombée malade : mon corps entier était dans un état de stress total.
Peut-on reparler de cette expérience avec Mercury, votre premier groupe, Dear Eskiimo, se faisant virer avant même de sortir le moindre disque ? Qu’avez-vous appris de cette expérience sur le music business ?
Jules : Quand on s’est fait jeter… bon, on s’est fait jeter, certes, mais nous n’étions pas un bon groupe. Le problème est les amis qu’on a perdus. Ceux qui nous disaient en permanence que ce qu’on faisait était fantastique, avec qui on dînait, on sortait, on discutait, puis une fois la nouvelle du départ de Mercury, plus rien. C’est ce qui a été le plus dur, le fait qu’il nous lâche ne symbolisait ni quelque chose de bon ni quelque chose de démoniaque, pour la bonne et simple raison qu’on savait déjà que le groupe ne menait de toute façon nulle part. La leçon principale a sans doute été de mieux juger de l’honnêteté des gens : chacun a son job, chacun joue son rôle, et l’être humain est ainsi fait, surtout dans le music business, qu’il est difficile de dire simplement à quelqu’un qu’il est mauvais, que ça ne va pas, que tu n’es pas bon, que ton concert a été merdique, que cette chanson est horrible.
Katie : J’ai appris pour ma part qu’il n’existait pas de bouton magique : tu le presses en signant un contrat, et tout le reste arrive comme par enchantement. J’ai aussi appris qu’on devait nous-mêmes tracer nos propres frontières. La première fois qu’on a été signés, on avait nos chansons, on en était contents, mais une fois en studio une armée de types est arrivée pour tout changer, tout arranger à leur manière, ça a tout dilué, il n’y avait plus rien, plus aucune conviction. Et c’est encore plus particulier quand tu es une jeune fille : à 19 ans, j’ai eu des réunions très étranges où les types des labels me demandaient jusqu’à quel point j’étais volontaire pour de me déshabiller, montrer de la chair dans les magazines. Je ne suis pas ce genre de fille, pas du tout… Quand nous avons signé avec Sony, on a mis les choses au clair dès le départ.
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