Est-ce parce que Tyson Vogel et Adam Stephens, les deux Californiens livides et frêles qui forment Two Gallants, se connaissent depuis la maternelle qu’ils n’ont jamais renoncé à la notion de jeu, développé un langage bien à eux, conservé un regard aussi amusé qu’effrayé sur le monde ? Est-ce parce qu’ils ont visiblement appris, en […]
Est-ce parce que Tyson Vogel et Adam Stephens, les deux Californiens livides et frêles qui forment Two Gallants, se connaissent depuis la maternelle qu’ils n’ont jamais renoncé à la notion de jeu, développé un langage bien à eux, conservé un regard aussi amusé qu’effrayé sur le monde ? Est-ce parce qu’ils ont visiblement appris, en duo imbriqué, à jouer seuls de la guitare et du stylo que leur songwriting sidère aujourd’hui par sa pertinence, sa modernité, mais aussi par son étrangeté ? un picking nerveux et savant ?
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Car là où, des White Stripes aux Black Keys, le blues est devenu ces dernières années une chasse gardée de quelques sauvageons, aux manières primitives et à l’éducation punk, il devient chez eux un fantastique et vaste terrain d’expérimentation, laissé en friche depuis John Fahey (logiquement remercié sur la pochette) ou le vénérable Skip James. Leur blues, patient et lancinant, aime les espaces : il les arpente avec un sourire psychiatrique, un flingue chargé et des idées noires. C’est un blues évadé, évasif, qui traverse le désert pour fuir les dogmes, les règles-carcans du boum-boum-boum. Parfois, il se souvient de sa jeunesse américaine, quand les pionniers lui présentaient la polka, la valse, les folklores de la vieille Europe.
Eprouvante (et parfois très comique, pour peu qu’on apprécie l’humour gothique) plongée dans les bas-fonds de la white-trash (violences domestiques, pendaison ou ivrognerie), la poésie détraquée d’Adam Stephens se joue dans cette grande tradition du storytelling qui, de l’Irlande aux Appalaches, de Raymond Carver à James Joyce, a fourni à l’imaginaire quelques-uns des antihéros les plus obsédants’ C’est d’ailleurs chez James Joyce, dans Gens de Dublin (chapitre « Les Deux Galants« ), que ce duo faussement ploucard et authentiquement lettré (ses histoires forment des petits scénarios que ne renieraient pas Tom Waits ou Jarmusch) a emprunté son patronyme.
Musicalement, guitare et harmonica ont suivi les mêmes fascinants cours d’histoire, autant assidus que dissipés. Car si les Two Gallants connaissent à l’évidence par cœur les ballades déglinguées de Robert Johnson, les pulsions malades de Leadbelly ou les chants sacrés de Leonard Cohen, ces deux blancs-becs de San Francisco n’en font qu’à leur tête de pioche avec l’héritage, qu’ils salissent et détournent à des fins honteusement personnelles. Sorte de White Stripes privés d’électricité et de couleurs, ils s’écrient : « I love my country but I fear your mother » (« J’aime mon pays mais je crains ta mère« ). Ne serait-ce que pour ces mots, ils méritent l’amour, déraisonné. Le revival années 80 continue donc. Et on parle ici des années 1880.
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