Retour surprise et déprimant des Strokes avec un cinquième album en forme de chant du cygne. Ou comment le groupe culte des années 2000 se saborde en beauté et rompt en musique. Critique et écoute.
En cette année 2001, nos 16 printemps à peine révolus, on découvre l’existence des Strokes. Le disque des cinq New-Yorkais s’appelle Is This It, premier album de génie dont toute une partie des actuels 25-35 ans ne s’est jamais vraiment remise. Outre le revival du garage rock désaccordé, des slim et des Converse, s’ensuit l’arrivée des Libertines, pendant britannique et cinglé des Américains, et de toute une flopée de groupes en “The”. Energie, sueur, cuir et morgue : la musique, à nouveau, s’incarnait.
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2013 : les Strokes ne sont plus, ou plutôt, les Strokes sont toujours là, raccommodés, rapiécés tant bien que mal par un leader qui semble refuser de laisser son groupe mourir en paix. Répondons tout de suite à une accusation potentielle : on ne fait partie ni de la fine équipe des “c’était mieux avant”, ni de celle des fans ultras qui refusent aux groupes le droit d’évoluer – preuve en est notre amour immodéré pour l’explosif et bouleversant First Impressions of Earth, troisième album du groupe sorti en 2006. La raison pour laquelle on aimait les Strokes se résumait alors en cinq noms : Julian Casablancas, Nick Valensi, Albert Hammond Jr., Nikolai Fraiture et Fabrizio Moretti. Et si le très moyen Angles nous avait mis la puce à l’oreille sur l’état du quintet malade, rongé par les disputes, les crises d’ego et l’éloignement, force est de constater que Comedown Machine se pose en messager d’une bien triste nouvelle : les Strokes en tant qu’entité sont en phase terminale, et celle-ci sera aussi longue et pénible pour eux que pour leurs loyaux admirateurs.
Comedown Machine est d’abord un album sans histoire, sans fondation, sorti de nulle part. L’annonce de son arrivée via le titre au nom évocateur, One Way Trigger, laissait présager le pire : discrète, surprise, sans le moindre commentaire du groupe. Ne filtrent ensuite aucune photo, aucune promo, aucune info mais seulement un clip à la nostalgie écrasante : All the Time, premier single au son typiquement Strokes, et ses images d’archives ressorties des placards d’un groupe apparemment incapable de se réunir pour tourner une vidéo. On se demande s’ils étaient même ensemble en studio. On aurait pu y voir, comme dans le clip du même genre de Can’t Stand Me Now des Libertines, le final grandiose et fécond d’une relation houleuse. On y perçoit plutôt un aveu public de rupture froide : la coquille des Strokes est bien là, mais son contenu ne tient plus qu’en quelques VHS poussiéreuses.
Là où leurs cousins anglais avaient su, avant leur explosion en vol, mettre leurs tensions et leur relation d’amour-haine au service de leur musique, celles régnant entre les Strokes ne nourrissent plus que la une de quelques tabloïds du rock. Même si certains morceaux sauvent les meubles (All the Time justement, 50/50 et 80’s Comedown Machine), on s’ennuie sévère à l’écoute de cet album. Et on n’est pas les seuls puisque les quatre acolytes de Casablancas semblent trouver le temps long, quand ils ne sont pas tout simplement inexistants (pourquoi utiliser une boîte à rythmes quand on a le métronome Moretti comme batteur ?). On entend l’absence du groupe sur Comedown Machine, sa lassitude profonde, son silence étouffé par un leader qui se débat pour ne pas couler ou pour imposer sa propre vision des choses – le disque ressemble parfois à une compilation de rushes de l’album solo du leader.
Si Angles parvenait à cacher la moisissure sous de beaux synthés lustrés, Comedown Machine et sa production négligée dévoilent une vérité crue : la dislocation d’un groupe qui n’a plus envie, mais se force à continuer on ne sait pourquoi. De confidence orale, la mort du collectif devient alors mélodique. Que dire du risible Welcome to Japan, de la voix de chat castré de Casablancas et de Tap Out, entre BO du Flic de Beverly Hills et bande-son d’un jeu de Mega Drive ? La dernière chanson, spleenesque et rétro, s’appelle d’ailleurs Call It Fate, Call It Karma (“Appelle ça le destin, le karma”). Titre on ne peut mieux choisi puisqu’à moins d’un ultime soubresaut, le destin a tranché : on assistera à la fin d’une machine rutilante que l’on a aimée jusqu’à l’écoeurement et que l’on pleurera certainement très longtemps.
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