Mike Skinner avait peur de ne plus s’amuser avec The Streets : à l’heure du dernier album, le petit génie anglais a sabordé le projet qui a fait sa gloire. Ultime interview, publiée en version intégrale, d’un garçon décidé.
Quand tu es tombé dans les excès de la vie de musicien, as-tu eu peur, à un moment, de perdre contact avec ce que tu étais vraiment ?
Oui. J’ai clairement perdu le contact plusieurs fois. Mais j’étais dans la vingtaine. Et je crois que tout le monde, à cet âge, se dit innocemment et inconsciemment « Je me marre pour l’instant, mais il faudra bien redescendre à un moment ou à un autre ». Ce mode de vie est malsain. Plus que ça, il est dangereux, et on le sait. Mais on profite de sa jeunesse en attendant la suite.
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As-tu des regrets, artistiquement parlant ?
Il y a un phénomène constant, chez moi : je déteste toujours le dernier album que j’ai fait. On est content qu’il sorte, les gens semblent intéressés, mais le fait d’avoir été plongé dedans pendant si longtemps crée un sentiment de rejet. Toujours, à chaque fois. Je me suis toujours senti en rébellion par rapport à ce que j’ai fait avant, je me suis toujours dit que ce que je viens de sortir aurait sans doute pu être un peu meilleur. Et si j’ai un regret, c’est justement celui-ci : cette amertume, le fait de ne pas avoir pleinement profité de ma musique à sa sortie.
Et c’est aussi le cas pour Computers & Blues ?
Ça s’est sans doute un peu tassé avec le temps : ça fait quand même cinq fois que je passe par le même processus, et j’essaie d’être déterminé à ne plus ressentir de sentiment. Mais bon, ça ne veut pas non plus dire que j’aime écouter ma propre musique, parce que je déteste faire ça. Mais je ne vais pas m’en faire autant cette fois. Si les gens me disent que l’album est bon, je vais les croire, et c’est tout.
Tu as gagné beaucoup d’argent, ton mode de vie a beaucoup changé : te sens-tu encore vraiment connecté au monde qui t’entourait il y a douze ans, et dont l’observation a fait la substance de The Streets ?
Comme je le disais, une partie en moi semble rester éternellement jeune. Le fait d’être dans la musique, de toute façon, fait que tu restes jeune Et j’ai encore beaucoup de contact avec des gens beaucoup plus jeunes que moi, je me retrouve souvent à parler à des gamins de 14 ou 15 ans, mes neveux, le fils d’un de mes roadies ; on discute de tout et de rien, de musique, de dubstep, pendant des heures. Je ne peux pas parler de musique à mon frère, qui est un peu plus âgé que moi : il conduit un camion, il a deux gamins, il ne connait rien à la musique.
Mais sur un plan plus social, tu sens que tu peux aussi bien observer la société britannique qu’il y a 12 ans ?
Tout repose sur les gens. Il y aura toujours des gens heureux, des gens tristes, des gens dans la merde, des gens qui gagnent leur vie. Les technologies changent, les gens regardent encore plus de télé, ils écoutent de la musique gratuitement. Mis à part pour les aspects technologiques, je n’ai jamais vraiment cru en l’idée de progrès. Je pense que nous sommes tous ce que nous avons toujours été, que nous pensons de la même manière depuis tout le temps.
Mais tu ne penses pas que la Grande-Bretagne a changé, ces dernières années ?
Sans doute en termes de confiance, oui : nous sommes ruinés, le chômage inquiète… Mais les années 70 ont été terribles, les années 80 très conservatrices, et les choses continuent comme elles peuvent…
As-tu eu, parfois, l’impression de t’enfermer dans un personnage, dans ce que les gens attendaient de The Streets ?
Non, je ne pense pas, même si j’ai sans doute évolué en fonction de ce qui se passait pour moi en tant que The Streets. Je crois que les gens qui écoutent les Streets aiment au contraire à penser que ça vient de quelqu’un de plutôt authentique, que ça vient d’un point de vue assez réel. Quand les choses ont changé, pour moi, de manière intime ou publique, ça s’est toujours assez clairement reflété dans ma musique. Mais il ne faut pas pour autant croire que l’art, quelle que soit l’œuvre, puisse être intégralement authentique. Le moment le plus authentique et sincère de toute ma carrière, si on veut le chercher, est sans doute The Hardest Way to Make an Easy Living, qui a pourtant été le moins bien reçu de tous mes albums. Il documente assez purement les conflits qui pouvaient alors m’habiter. J’imagine que les autres albums, qui sont aussi une forme de témoignage, le sont d’une manière un peu plus arrangée. Personne ne peut raconter une histoire absolument réaliste de ce qu’il est. Ou de quoi que ce soit, d’ailleurs. Raconter une histoire est de toute façon le moyen de créer un sens à des faits souvent irrationnels ou hasardeux.
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