Raw Power, l’album fondateur du punk, fit entrer les Stooges dans la légende en même temps qu’il signait leur arrêt de mort. Il ressort aujourd’hui en version deluxe. Mais en 1973, le disque et sa tournée ne furent que violence et provocation. Récit d’une épopée destroy et écoute de la réédition.
En septembre, l’album est enfin terminé, sauf que MainMan est entièrement accaparée par la promotion de The Rise And Fall of Ziggy Stardust, le nouvel album de Bowie, qui décolle en Europe et aux Etats-Unis. L’ironie, une autre, est que Bowie s’est inspiré de l’histoire du leader des Stooges pour ce disque conceptuel. Ne sachant être Iggy, car trop distancié, trop détaché, trop étudié pour être un “vrai” rockeur, Bowie a fait de Ziggy son double décadent qui, du jour au lendemain, va le rendre mondialement célèbre.
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La sortie de Raw Power est repoussée. Abandonnés, dépités, Iggy et les boys précipitent leur retour aux Etats-Unis après avoir, selon Lee Black Childers, le représentant de MainMan, dévasté la maison londonienne que leur loue DeFries. En octobre 1972, le groupe s’installe dans une autre maison, située celle-ci sur les collines d’Hollywood. Au bout de quelques mois à tenter de reprendre courage, Iggy sent bien que tout lui échappe.
L’état de son moral empire quand Bowie, en pleine tournée américaine, profite de quelques jours off pour se consacrer au mixage de Raw Power. Aujourd’hui, Iggy admet que le mix de Bowie était sans doute le meilleur dans les circonstances de l’époque. Sauf que lui et les autres Stooges ne trouvèrent pas de mots assez durs pour le renier sur le moment. Scott Asheton transformera même son exemplaire en frisbee.
De là, les choses vont vraiment tourner vinaigre. Invité à présenter l’album en avant-première sur une radio de Detroit, Iggy se déshabille et se met à se masturber en direct en commentant ses gestes : “Eh, je suis à poil et je me la touche.” Avant de quitter les studios, il séquestre Cherry Vanilla dans un ascenseur et tente de violer la future chanteuse, alors directrice du marketing chez MainMan.
[attachment id=298]Quand, en mai 1973, Raw Power sort enfin, le groupe est à nouveau un cas désespéré. Tony DeFries, apprenant qu’Iggy et les boys se shootent près de la piscine de la maison qu’il leur loue, résilie leur contrat. Le groupe tente de sauver la mise en organisant une tournée. Mais lors de leur passage au Max’s Kansas City, à New York, Iggy est expédié aux urgences après s’être entaillé le ventre avec un tesson de bouteille.
N’ayant plus les moyens de se payer de l’héroïne, il passe aux antidépresseurs et se met à picoler. La tournée est rebaptisée le “Vodka Tour”. Quelques mois plus tard, il est hospitalisé dans un établissement psychiatrique pour troubles mentaux. Raw Power, après avoir péniblement atteint la 82e place des hit-parades US, finit dans les bacs à soldes. Aujourd’hui, il est considéré comme un classique, la pierre de Rosette du punk.
En 2010, trente-six ans plus tard, les Stooges reviennent savourer leur revanche, malgré la mort de Ron Asheton en 2009. Le 15 mars dernier, ils ont été intronisés au Rock and Roll Hall of Fame. Fait Chevalier des Arts et des Lettres en 2003, Iggy ne risque plus d’ébrécher sa légende d’Attila du rock en entrant au panthéon du genre. Aucune histoire n’illustre mieux que la sienne ce magnifique dédain à l’égard de la réussite sociale, cette antivertu au nom de laquelle tout rockeur digne de ce nom préfère toujours la vie à l’extrême à la conduite en esclave.
Lors de la cérémonie, après les remerciements d’usage, il a chanté quelques mesures d’I Wanna Be Your Dog. Le corps du chanteur, jadis affûté et souple comme une épée, s’est alourdi. Sa peau s’est parcheminée malgré les saillies d’une musculature longtemps sculptée en salle de sport. Une opération de la hanche l’oblige à porter une semelle compensée et à courir de guingois.
Mais il est vivant et c’est un miracle. A 63 ans, il a l’air d’un vieux gladiateur, ou d’un vieux catcheur dont on se demande ce qui le pousse encore à relever le défi de l’arène. Avec ses longs cheveux blonds et filasses, il offre une réplique quasi mimétique au Mickey Rourke de The Wrestler. Son visage, sillonné de rides, passe sans cesse d’une expression de martyr à celle d’un vieux beau gosse se la coulant douce à Miami. Anticipant sans doute son avènement, Flaubert écrivit un jour : “La race des gladiateurs n’est pas morte. Comment le serait- elle ? Tout artiste en est un qui amuse le public avec ses agonies.”
Album : Raw Power – Legacy Edition (Sony Music)
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