Avec ses brillants états de service, ce trio cultive le corps comme le cerveau, aussi scientifique que charnel. On a de la chance d’avoir eu la déveine de connaître les seventies : on sait ce qu’il y a à craindre d’un super-groupe. Car du Milan AC aux fétides Asia, on a appris à mépriser ces […]
Avec ses brillants états de service, ce trio cultive le corps comme le cerveau, aussi scientifique que charnel.
On a de la chance d’avoir eu la déveine de connaître les seventies : on sait ce qu’il y a à craindre d’un super-groupe. Car du Milan AC aux fétides Asia, on a appris à mépriser ces armées de mercenaires aux intentions fourbes et au jeu collectif cadavérique. Ainsi, même dans l’underground, les génériques de rêve (Electronic) peuvent masquer des navets navrants on se souvient ainsi de Dim Star, inutile super-groupe pourtant composé de deux Sonic Youth, Richard Hell et Don Fleming. Car bras cassé + bras cassé != mains d’argent.
Ainsi, la composition de Snowpony faisait rêver sur le papier, mais on craignait un match sans vie, sans âme, mécanique : comment donner un corps à des cerveaux ? Entre une ancienne My Bloody Valentine, une réfugiée de Stereolab et un prêt de Quickspace, comment ce trio de scientifiques chevronnés allait-il pouvoir dépasser la simple expérience de génétique, donner la vie en son laboratoire ? Surtout que le choix du producteur le génial John McEntire, l’un des designers du vaste son Tortoise n’allait pas vraiment dans le sens de l’urgence, de la spontanéité. D’où la surprise de cet enthousiasmant The Slow-motion world of Snowpony : on n’avait encore jamais vu de blouses blanches danser avec une telle sensualité, jamais fréquenté de colloque matheux à ce point sexy. Car si le son est admirablement trituré, disséqué, recollé sans la moindre trace des savantes et mystérieuses opérations effectuées sur la batterie ou les faisceaux de guitares, les chansons, elles, semblent amnésiques de leur passage au CNRS (Centre national de rock scientifique). Ingénues et pop, elles sont les sirènes irrésistibles qui attirent dans cet impressionnant labyrinthe. Il y a, bien sûr, une perversité terrible celle de Garbage, évidemment, mais aussi celle, plus subtile, des Au Pairs ou Luscious Jackson dans cette façon de brouiller les cartes, de susurrer les merveilleux Snow white ou Love letter comme des comptines enfantines alors que le décor, lui, est une sale et sombre histoire de fées soniques.
Car si on peut on doit être fasciné par l’architecture entrelacée qui habille ces chansons, Snowpony est avant tout un groupe de rock, fougueux et racé : même conçu en chambre froide, son disque transpire, ses samplers grincent. Mais groupe retenu, sa plus grande force est l’inertie : pas un hasard si ce lancinant album s’appelle Le Monde au ralenti de Snowpony, tant le trio joue de cette tension, de cette lenteur, de ce ciel d’orage qui refuse de se déchirer en banales grandes eaux, en vulgaires éclairs, préférant les longues caresses un délicieux supplice sur Easy way down aux éjaculations précoces du rock ado. Et malgré quelques expériences où les tubes à essai chauffent à vide (John Brown ou Siamese fighting fish), on ne peut décemment pas accuser d’être frigide et clinique un groupe qui écrit « Je marcherais des kilomètres sur du verre pilé/Juste pour lécher la transpiration sur le cul d’Hank Williams. » Ou comment un super-groupe peut être un groupe super.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}