A l’occasion de la sortie de leur très attendu troisième album, Wincing the night away, les américains pop de The Shins sont à l’honneur sur lesinrocks avec l’interview de leur leader, James Mercer, et le clip du single Phantom Limb.
Révélés au grand public américain grâce au film indépendant Garden State, les Shins, groupe à la pop fine et savamment travaillée, viennent de sortir un troisième et magnifique album, Wincing the night away. Mené par le disert James Mercer, le quatuor né dans les profondeurs du Nouveau Mexique et relocalisé dans une ville à l’histoire très musicale, Portland, Oregon, pourrait bien rapidement connaître un joli destin à la REM.
Quand et comment sont nés les Shins ?
Les Shins sont nés pour impressionner mes amis, je voulais faire le malin devant eux (rires). En fait, j’ai commencé les Shins parce qu’à la fin des années 90 j’étais très impressionné par plein de vieux songwriters démodés, des vieux groupes que j’aimais beaucoup, du vieux r n’b, les enregistrements de James Brown, et puis les groupes qui sont partis de ça, les Beatles, les Kinks. J’étais à fond dedans et j’ai fini par me demander si un tel groupe pourrait avoir du succès aujourd’hui. Je me demandais s’il était possible aujourd’hui d’écrire comme un de ces songwriters, d’utiliser des accords mineurs, de ne pas se servir tout le temps d’une pédale de distorsion. Est-ce que ça marcherait ? Donc j’ai créé les Shins pour avoir un support pour ce genre d’écriture.
Et tu as été satisfait du son des Shins dès le début ?
Au départ, je voulais que ma musique sonne comme une version punk rock des Beatles. Je voulais que notre son soit un peu crade, un peu sale, une version un peu garage de la musique sixties. Je voulais que ça soit psyché et haché en même temps. La première chanson que j’ai enregistrée, Nature s bare of vacuum, ça sonnait exactement comme je voulais que ça sonne. Comme de la merde (rires). Quand j’ai commencé à enregistrer avec un ordinateur, ça a tout changé, le son était très différent.
Vous avez eu du succès tout de suite ?
J’ai commencé de jouer dans des groupes quand j’avais dix huit ans. Si on considère ce fait, j’ai du attendre longtemps avant d’avoir du succès ? j’ai 35 ans maintenant. J’ai rencontré les futurs membres du groupe vers 1993. Je jouais alors dans différents groupes, et les Shins ont commencé vers 1997. Dès qu’on a commencé à enregistrer des morceaux, des gens se sont intéressés à nous. Le premier label qui a voulu qu’on enregistre pour eux, c’était 100 Guitar Maniac, un label japonais. Je trouvais ça super cool que ce pays lointain s’intéresse à nous.
On ne s’attendait pas au succès. Quand on habite à Albuquerque, Nouveau Mexique, on n’attend pas grand-chose (rires). On se contente de ce qu’on a, on est content de ce qu’on peut avoir. Ce n’est pas affreux, mais c’est une ville terriblement isolée. Les gens qui vivent à New York ne savent même pas qu’Albuquerque est aux Etats-Unis. Ils croient que c’est au Mexique.
Comment vivre aux Etats-Unis quand on fait de la musique sans être populaire ?
J’ai eu des tonnes de petits boulots à côté. Dans un fast food en Angleterre. Dans une station service en Angleterre aussi. Dans un parc d’attraction, je contrôlais les montagnes russes. Ensuite j’ai bossé dans une boite qui faisait des impressions sur tissus où on faisait des t-shirts imprimés avec des trucs immondes dessus. Ensuite pendant deux ou trois ans, j’ai fait des encadrements de tableaux. J’ai été comptable dans un bureau. J’avais menti pour avoir le boulot. Je n’y connaissais rien à la compta ! Ensuite j’ai bossé dans une usine
Comment avez-vous signé sur Sub Pop ?
Modest Mouse a joué un grand rôle pour nous. Je les avais rencontrés quand je jouais dans un autre groupe. Ils nous ont proposé de tourner avec eux à nos débuts. Et donc on a fait un set, on a gravé des Cds qu’on vendait aux concerts. A cette époque, le grand truc c’était Napster. Et nos chansons étaient partout sur Napster, on y était très populaire. Tous les étudiants, tous les gamins pouvaient écouter. Il y avait au moins 30000 personnes qui connaissaient nos chansons. Isaac de Modest Mouse a parlé de nous à Sub Pop. Ils ont vu par Napster qu’on était un petit groupe bien populaire et ont voulu nous signer. Ils sont venus à Albuquerque, nous ont vus en concert et nous ont signés. Avant les Artic Monkeys, avant Myspace, on a été un des premiers groupes à être signé grâce à internet (rires). C’était en 1999.
As-tu été découragé entre-temps ?
En 1999, je me rappelle avoir discuté avec mes parents, ils avaient vraiment les boules que j’aie arrêté l’université. Je me rappelle leur avoir dit que j’avais un ordinateur, des choses à enregistrer, qu’un nouveau monde s’ouvrait pour moi. J’étais hyper enthousiaste. Je leur avais promis que si je faisais ces chansons et que rien ne se passe, que personne ne les aime, et bien je retournerais à la fac. C’était mon état d’esprit juste avant qu’on soit signé par Sub Pop. C’est la seule fois où j’ai douté.
Comment les Shins sont perçus aujourd’hui aux Etats-Unis ?
On est pas mal populaires aux USA. On a sortis deux albums et chacun des disques s’est vendu à 500000 exemplaires. On est un petit groupe important, un des plus gros groupes indés. Mais on ne me reconnaît pas dans la rue, ce genre de choses’
Vous avez été critiqués pour avoir casé des chansons dans des pubs’
Au tout début, on avait vraiment besoin d’argent et on a accepté que des chansons d’Inverted world soient prises dans des pubs. On nous a un peu critiqué d’avoir fait ça. On avait vendu nos chansons au diable (rires). C’est vraiment pour l’argent qu’on a accepté. Ca ne me dérange pas de l’avoir fait, je n’ai pas de problème de conscience. Mais en même temps, il faut faire attention, ça peut être inquiétant, je ne veux pas ruiner mes chansons. Il faut respecter sa musique, simplement parce qu’il faut aussi respecter son public. C’est ce que j’ai appris en faisant ça. Donc bon, on fait gaffe maintenant. Mais je ne vais certainement pas critiquer les groupes qui font ça. C’est facile de critiquer quand on n’est pas dans un groupe, quand on ne voyage pas dans un van pourri, quand on n’a pas d’assurance. L’argent de la pub fait du bien parfois. Je ne sais pas si ça fait gagner de l’audience. Les films et les séries, oui par contre.
Quel était ton but en écrivant ce nouvel album Wincing the night away ?
Je voulais qu’il ait un son différent des deux autres. Je voulais qu’il soit mieux. Oh inverted world est sorti avant Chutes too narrow, et Chutes too narrow a bien mieux marché que le premier. Et puis est sorti le film Garden State. Il comprenait des chansons de Oh inverted world dont les ventes ont alors été boostées. Ce film fut la meilleure promo possible pour nous mais ça nous a un peu ennuyé que ça rende ce disque si populaire alors que l’autre venait de sortir Enfin on était bien content du succès quand même. C’était un vrai coup de bol.
Bref, Oh Inverted world s’est mis à remarcher et a bien plus vendu de disques que le second. J’étais un peu contrarié. La logique veut que le deuxième marche mieux que le premier et que le troisième marche mieux que le deuxième Avec Wincing the night away, je voulais faire un disque qui réussisse à éclipser les deux autres. Le songwriting est plus ambitieux, j’ai été plus exigeant, plus perfectionniste. Faire les deux autres disques, ça a été un apprentissage. Celui là, il est plus concis, le songwriting est plus cohérent. J’ai grandi aussi entre les albums. J’ai traversé beaucoup de choses. Après Chutes too narrow, j’ai vécu des choses stressantes. J’ai cassé avec ma copine d’alors, ça a été une rupture difficile, ça m a fait réfléchir. Mes voisins dealaient de la drogue, il y avait des gangs qui rôdaient autour de chez moi et me menaçaient. J’ai dû déménager, l’environnement était trop dur.
Qu’est-ce que tu écoutais en enregistrant l’album ?
Pendant l’enregistrement j’écoutais the Monks, un groupe américain. J’écoute toujours les mêmes vieux groupes, les Kinks etc. mais je ne sais pas s’ils ont influencé l’album. Serge Gainsbourg, étonnamment, ça faisait longtemps que je n’avais pas écouté.
Le son est moins organique, plus travaillé?
Utiliser plus de technologie, c’est une progression très naturelle pour moi. J’ai toujours fait ça, fait des boucles, utilisé un ordinateur etc. Ca s’entend plus sur cet album, j’ai moins de mal à le montrer maintenant. Sur Oh inverted world, je voulais vraiment qu’on ait l’impression qu’il vienne du passé. Maintenant je m’en fous, ça ne m importe plus. J’adore expérimenter en studio, c’est un des trucs les plus excitants de l’enregistrement. J’adore chercher des trucs nouveaux, que personne n’aurait encore jamais fait. C’est cool, ça me rend un peu dingue !
Tu es conscient que ton songwriting est assez unique ?
On m a dit que j’avais une vision originale du songwriting, une façon intéressante de combiner les accords pour faire une mélodie. Ça doit être ça, parce que sinon, on est comme tout le monde, on joue de la guitare, de la basse, etc, je ne vois pas ce que je peux dire. Je ne sais pas comment ça se passe, vraiment.
Les Shins, c’est toi ou une démocratie ?
J’ai besoin de contrôler ce qui se passe en studio, les enregistrements. Ça me fruste vraiment quand quelqu’un ne me permet pas de faire ce que je veux faire. Je suis un peu passif parfois, mais à l’arrivée, je sais que je ne retravaillerai plus avec cette personne (rires). Voilà. Je ne cris pas, ne force pas les gens à faire ce qu’ils ne veulent pas faire, mais dans ce cas, je ne les rappelle pas (rires). Chez moi c’est ?fais ce que je dis ou alors disparais !? (rires). Mais je sais écouter les gens aussi.
Tu écris beaucoup ?
J’adore écrire, c’est très naturel de m asseoir au piano ou avec la guitare et d’avoir des idées. Je fais ça tout le temps. J’adore, je ne peux pas m’en empêcher. C’est comme fumer, c’est un besoin physique.
Les paroles de tes chansons sont très personnelles’
Parfois, je sens que je me confie beaucoup dans les chansons alors j’utilise des métaphores, je me cache derrière les mots et du coup je peux parler de ce que je veux. J’arrive à garder une certaine intimité comme ça. Personne ne sait vraiment de qui je parle, à part moi. J’ai parfois l’impression de marcher sur du verre avec les chansons. Mais ça fait du bien aussi d’exprimer les choses. Etre honnête, vulnérable, permettre à sa vulnérabilité de transparaître dans les paroles des chansons les rend plus fortes. Si je chantais des chansons dont les paroles n’ont pas de sens, je n’arriverais jamais à m’en rappeler ! Comment avoir l’énergie de faire des trucs qui ne veulent rien dire, qui ne signifient rien pour toi ?
C’est quelque chose que tu aimes dans les chansons des autres ?
J’adore la mélancolie dans les chansons des autres. J’adore les Smiths, ce genre de choses. Mais il ne faut pas que ça soit ouin ouin non plus. Je n’aime pas la tristesse pour la tristesse, les trucs misérables. J’aime les chansons intelligentes. Déjà gamin j’étais comme ça. J’aimais Yesterday?
Enfant, tu étais plutôt solitaire ?
J’étais un enfant mélancolique, regardant au loin à travers la fenêtre, un rêveur J’étais vraiment un taré, un vrai dingue. Je n’entendais jamais quand ma mère m appelait alors que je regardais la télé à côté d’elle. Ça lui faisait peur ! J’étais un peu solitaire. Mon père était dans l’armée de l’air, on a beaucoup déménagé. On a habité en Allemagne, en Grande-Bretagne, je suis né à Hawaii. C’était dingue de déménager tout le temps. La partie que j’ai préférée de mon enfance, c’est quand on a habité en Allemagne. J’aimais la polka (rires). Il y avait une forêt derrière notre appartement et je passais des heures là bas, tout seul, à me balader. J’adorais cet environnement, il me correspondait bien. J’adorais les petites bêtes, les escargots, etc. Je passais des heures à faire semblant de vivre dans Donjons et Dragons, j’adorais. Mon père était chanteur de country dans des nightclubs. En grandissant, j’étais souvent dans les bars avec lui jusqu’à tard dans la nuit. Quand ils ne trouvaient pas de baby sitter, j’étais avec eux, je voyais mon père sur scène, chanter toute la nuit
La musique a toujours été une passion pour toi ?
J’ai toujours écrit des petites chansons. Avec un de mes amis, un petit rouquin qui habitait en face, on se réunissait et on passait des vieux singles vinyles, genre Kenny Rodgers et on écrivait nos propres paroles. Et on chantait par-dessus. Ce genre de trucs débiles ! Quand j’avais 11 ans, j’avais un ami de quinze ans que je suivais comme un toutou. Je trouvais que c’était le gars le plus cool de la terre. Il adorait Pink Floyd, Dark Side of the moon. Je traînais avec lui et ses amis qui fumaient des cigarettes, on écoutait Pink Floyd et j’adorais Dark Side of the moon. C’est un des premiers albums que j’ai acheté quand j’ai eu de l’argent de poche. J’ai pris des leçons de piano à 15 ans, très rudimentaires, pendant un an mais ça m a donné des bases, et j’ai commencé la guitare à 17 ans. Une fois au lycée, la pop musique est devenue vraiment importante pour moi. La fin de la new wave les Beatles, etc. U2 était un groupe énorme pour les enfants de quinze ans à l’époque. J’adorais ça. Echo and the Bunnymen était très important pour moi, Cure aussi. Je voulais être comme ces groupes, mais leur musique m intimidait un peu. Je ne pouvais même pas imaginer comment ils jouaient ça, les tablatures me semblaient tellement compliquées. C’est pour ça que les groupes qui m ont vraiment donné l’impression que moi aussi je pouvais jouer de la musique, et être dans un groupe, ce sont les Ramones et les Sex Pistols, les punks, que tous mes amis écoutaient aussi. Là oui, je voyais très bien comment je pouvais jouer ça (il chante). Ça m a donné confiance ! Le premier groupe que j’ai eu faisait des reprises des Sex Pistols et des trucs garage.
Après une enfance passée à déménager, ça n’a pas été dur de vivre à Albuquerque ?
Les gens appellent Albuquerque the land of entrappment c’est un jeu de mot sur la devise de l’état, the land of enchantment. Je me sentais un petit peu coincé là bas, j’avais envie d’en partir. Je me sentais enfermé par moi-même en fait. J’étais une personne extrêmement timide quand j’avais dans les 20 ans’ je n’avais pas confiance en moi et je savais qu’il fallait que je change, que je grandisse, que je sorte de ma coquille. Et c’est ça qui est super avec les Shins, c’est que ça m a aidé à faire tout ça. J’étais plus enfermé en moi-même que par Albuquerque. J’aurais pu en déménager. Mais j’étais prisonnier de mes peurs, insécurités. J’avais une relation de co-dépendance avec mes meilleurs amis’ Aujourd’hui je vis à Portland. C’est une ville super, très ouverte, très respectueuse de l’environnement, avec des bicyclettes et des transports en commun. On sent qu’on fait partie de quelque chose là bas. Ce que je n’ai jamais ressenti à Albuquerque. Là bas je ne me suis jamais senti accepté, je n’ai jamais senti que je faisais partie de quelque chose. C’était un endroit très hostile. Je m y sentais très frustré. Je me demandais ce que je foutais là. Je me battais, je voulais autre chose mais je ne savais pas comment m y prendre. A Portland, je sens que je fais partie d’une communauté. Portland est une ville très artistique, très musicale. Ça donne des idées.
Avec l’aimable autorisation de PIAS