Après cinq ans sans album, The Rapture revient avec un album de dance hédoniste et sombre à la fois, bâti sur les décombres d’un violent chaos dont ils ressortent plus brillants que jamais. Critique et écoute.
« Je ne voulais pas d’un album au rabais, explique Luke Jenner, volubile, en forme et d’une franchise à désarmer la Corée du Nord. Je voulais qu’il soit bon, et pour cela je devais laisser un peu de vie s’écouler pour avoir des sujets sur lesquels écrire. » Ils n’ont pas manqué.
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L’un des morceaux d’In The Grace of Your Love s’intitule Roller Coaster : les cinq ans qui ont séparé le précédent Pieces of the People We Love en 2006 de ce retour inespéré ont été une montagne russe dantesque, un violent manège qui aurait définitivement écœuré des estomacs moins endurants. « Ce fut pour moi à la fois positif et négatif. Nous avons perdu un membre, mon fils est né, ma mère est morte : il s’est passé beaucoup de choses. »
De l’influence des mamans sur la dance music : jamais on n’aurait imaginé que l’ambivalence historique des morceaux des new Yorkais, entre hédonisme charnel et noirceur orageuse, avaient une source si directe. « Ma relation à ma mère a toujours été extrêmement difficile. Elle était très mentalement profondément malade, et elle s’est suicidée il y a cinq ans. Elle est tombée malade quand j’avais 6 ans et ça a toujours pris une place très importante dans le fait même d’écrire de la musique : j’essayais de donner un sens à cette relation. Sur cet album, les chansons Children ou Miss You notamment parlent très directement d’elle. »
Des belles cicatrices des conflits internes, également, sur l’écriture d’un album que l’on considérera comme le reboot d’un groupe revenu sur son label originel, DFA : l’autre maelström traversé, celui qui a failli avoir sa peau mais a finalement arraché les rivets qui clouaient ses ailes au sol, fut le départ en 2009 du pivot Matt Safer, après un âpre bras de fer entre deux égos d’acier.
« Il ne voulait tout simplement plus être là. C’était devenu terrible : on se réunissait pour répéter, il arrivait et repartait sans même dire bonjour ou au revoir. On allait signer avec Justin Timberlake et Timbaland, et Matt était alors obsédé par la célébrité : il a fini par nous déclarer que son but était de remporter un Grammy Award et ça m’a semble totalement déplacé, bizarre, ce n’est pas ce que je voulais, ce n’était pas ma motivation. Pour être clair, avant de revenir, j’ai quitté le groupe avant que Matt ne le fasse. J’en étais arrivé à un point où je devais tout arrêter, c’était devenu beaucoup trop pour moi. Mais son départ a tout relancé. Je me souviens très bien du lendemain de ce jour : je suis arrivé en studio et je me suis exclamé, intérieurement, « Enfin ! Je peux faire exactement ce que je veux ! » Un retour aux sources : The Rapture a été conçu comme un véhicule pour mon songwriting, pour me permettre d’aller partout où mes idées me menaient. »
Ses idées l’ont mené vers l’indépendance, la liberté, une forme de détachement zen : Jenner, qui avoue avoir été autrefois obsédé par la compétition et le désir maladif de mieux faire que ses contemporains, s’est recentré sur lui-même, ses marasmes et ses félicités, sur sa musique plutôt que celle des autres. « Les réactions extérieures sont à nouveau moins importantes que ce que nous ressentons nous-mêmes, et le sens que je peux donner à ma musique est pour moi redevenu primordial. Contrairement au précédent, on s’est concentré sur le processus de création plutôt que sur le résultat espéré. Je cherche à être moi-même, je n’essaie plus de faire mieux que quiconque. Je voulais un album qui soit extrêmement positif mais qui n’évite pas pour autant les zones d’ombre. Qu’il me serve sur le plan des émotions. »
Il ne servira pas qu’à lui, heureusement : il y a, sur chacun des titres du cohérent mais vallonné In The Grace of Your Love, un sentiment pour tous. Des émotions en collision frontale, des impressions en concurrence permanente, une lutte infinie entre beauté et efficacité, entre l’épique (Sail Away, Roller Coaster) et l’intime (Miss You, In The Grace of Your Love), le frottement de tubes maousses pour dancefloors bouillants (la très eurodance How Deep Is Your Love ?, Children) à des mélodies d’une formidable intelligence. Produit en partie à Paris par Philippe Zdar, In The Grace of Your Love est précisément ce que le groupe n’avait jusque-là pas réussi à faire : une véritable collection de véritables chansons. Il est donc, peut-être, son meilleur album.
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