Entre 1956 et 1963, le big band de Quincy Jones est à son apogée. Un coffret retrace le parcours d’un prodige de 23 ans qui créa la musique la plus photogénique de son époque.
Entre 1956 et 1963, le big band de Quincy Jones est à son apogée. Un coffret retrace le parcours d’un prodige de 23 ans qui créa la musique la plus photogénique de son époque.
De la disparition d’Henri Salvador, auquel il fit offrande d’arrangements pétaradants et d’une amitié constante, au 25e anniversaire du Thriller de Michael Jackson, dont il fut le grand Mastermind, les occasions récentes d’évoquer Quincy Jones furent nombreuses. Moins médiatique, la sortie d’un somptueux coffret de son big band des meilleures années (1956-1964) en reste toutefois la plus opportune.
Paru dans la série prestige de Mosaic Records, prisée des jazzophiles pour sa ligne éditoriale select et ses tirages limités, cet objet au format 33t et à l’impeccable esthétique noir et blanc renferme cinq disques qui font la chronique des enregistrements de Jones en chef d’orchestre pour les labels ABC, Impulse ou Mercury, du manifeste This Is How I Feel about Jazz jusqu’aux extraits d’une comédie musicale, I Had a Ball, qui n’a pas encombré les mémoires.
Deux concerts de 1961, à Zurich et au Newport Jazz Festival, exposent enfin à l’air libre ce big band mouvant à son apogée. De Mingus à Gillespie et d’Oliver Nelson à Roland Kirk, l’impressionnante galerie des cadors présents sur ses enregistrements – soit presque tout le dictionnaire du jazz des années 50-60 à l’exception de Miles Davis, John Coltrane et Sonny Rollins – confine à l’éblouissement. Moins toutefois que la façon dont Quincy Jones, comme une extension naturelle de sa félinité légendaire, conduit ces lourdes embarcations avec un doigté proche de celui d’un peintre qui
aurait à sa disposition la toile de fresque la plus ample et les pigments les plus rares.
En 1956, ce natif de Chicago n’a que 23 ans et déjà une réputation assez flatteuse en tant que trompettiste dans l’orchestre de Lionel Hampton, et comme arrangeur de sessions pour Basie, Ellington, Sarah Vaughan, Ray Charles et Dizzy Gillespie. C’est au sortir du big band de ce dernier qu’il se voit offrir la possibilité de constituer son propre orchestre – dont le second disque de cette anthologie, intitulé The Birth of a Band, témoigne de l’extraordinairement fertile gestation.
Celui qui mettra, à la même époque, le cap sur Paris – où il étudiera auprès de Nadia Boulanger les sortilèges de la composition avant d’intégrer le staff d’Eddy Barclay comme directeur musical – apparaît comme le point de liaison entre deux ères qu’il va parvenir à faire entrer en résonance. Le style Quincy, parfois décrié pour sa joliesse et sa flamboyance à une époque où le jazz ne rêvait que de ruptures et de combats, c’est le prolongement du swing élégant de la grande époque vers des rivages plus mélancoliques, dont un certain cinéma climatique ainsi qu’un pan luxueux de la variété (de Nelson Riddle à Bacharach) feront leur miel tout au long des sixties.
C’est ce qui frappe en premier lieu lorsque défile cette musique dont le charme ravageur assombrit légèrement l’aspect érudit : son caractère extrêmement “photogénique”, en fusion totale avec les magnifiques clichés qui illustrent le livret – plus encore que chez Miles dans Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle. Son existence éphémère comme la jeunesse insolente de son taulier, qui bifurquera aussitôt du jazz pour aller justement vendre ses talents au cinéma et dans la chanson, font de cet orchestre la parfaite incarnation d’un mythe intergénérationnel comme les aime l’entertainment américain.
Avec ses musiciens issus de différentes époques et écoles, des survivants des orchestres des années 40 jusqu’aux plus fines lames contemporaines, ses standards redorés avec amour qui se mélangent aux propres compositions de Jones, sa dilatation au fil du temps entre New York et l’Europe, c’est plus volontiers à une rêverie de musicien qu’à une simple aventure musicale à laquelle on assiste ici aux premières loges. Des moments volés (Stolen Moments, le chef-d’œuvre d’Oliver Nelson fait partie du programme), d’où se dégage une impression d’euphorie et de grâce mêlées, qui restituent un demi-siècle plus loin toute leur éternelle majesté.
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