Festin de roi pour célébrer les 50 ans des Pretty Things : un grand groupe sous-évalué. Critique.
Parfois, la revanche sonne tardivement pour certains artistes que les mémoires ont injustement relégués dans leurs catacombes. Une telle intégrale, qui rassemble les onze albums studio des Pretty Things, auxquels se rajoutent deux CD de raretés, deux DVD, un 25 cm, un livre splendide de cent pages et d’autres goodies, aucun groupe du haut de tableau des sixties (pas même les Beatles ou les Stones) n’y a eu droit.
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L’objet, au façonnage impressionnant de raffinement, paraît de prime abord démesuré. Surtout pour un groupe qui n’affichait pas l’option dentelle et broderie en tête de ses hobbies, lui préférant – dans le désordre – la picole par hectolitres, la destruction méthodique des chambres d’hôtel, les sous-entendus salaces ou drogués dans les paroles et les virages musicaux en épingle. Pourtant, sous cette carcasse mal dégrossie de sales teignes du rhythm’n’blues anglais, sous ce nom (piqué à une chanson de Bo Diddley) qui leur sied comme un tutu à un haltérophile, il s’est dissimulé beaucoup plus de subtilité et d’audace créative que voudront bien en retenir les encyclopédistes – la plupart les repoussant dans le charnier des suceurs de Rolling Stones.
Une raison à cela : Dick Taylor, guitariste originel des Cailloux, les quitte sur les fonts baptismaux, froissé de se retrouver poussé vers l’arrière (à la basse) par l’arrivée de Brian Jones. Il fonde peu de temps après The Pretty Things avec Phil May et le groupe se retrouve vite, via une bataille d’hégémonie entre les labels Decca et Fontana, opposé en rival officiel des Stones. Une charge trop pesante, car malgré sa facilité à exalter d’excellents singles écrits par d’autres (Rosalyn, Don’t Bring Me Down, tous deux repris par Bowie sur Pin Ups) et à en décanter bientôt des compositions qui n’ont pas à rougir face à celles de Jagger/Richards, la paire Taylor/May ne parviendra jamais à suivre la cadence. Fin 65, leur second (et solide) album Get the Picture? est écrasé par Out of Our Heads, sorti avant lui et qui bénéficie du rouleau compresseur Satisfaction.
En pleine ébullition psychédélique, Emotions (1967) et ses arrangements de cordes et de cuivres plaqués trop artificiellement ne profite pas de la dynamique Summer of Love. Et c’est finalement avec le fabuleux single Defecting Grey, paru fin 67 (dont une version alternative est offerte ici sur un 25 cm), que les Pretty Things recollent provisoirement au peloton des Beatles et de Pink Floyd. Mais là encore, alors qu’ils enregistrent à Abbey Road, empruntant certains instruments baroques et avant-gardistes à leurs concurrents, ils n’accaparent pas pour autant leur lumière. Pire encore, leur chef-d’œuvre, SF Sorrow, le premier opéra-rock de l’histoire, sortira pour de sombres histoires contractuelles après Tommy des Who et passera à tort pour une resucée.
Sans relais aux Etats-Unis pour faire caisse de résonance, un peu bancals après le départ de Dick Taylor, les Pretty Things déploient un magnifique Parachute en 1970 mais s’écrasent inexorablement l’année suivante, jetant une éponge désespérément sèche. Leur renaissance quasi immédiate, mais sous la forme d’un groupe de heavy-rock avec des trouées folk, adoubé par Led Zep, donnera lieu à des albums pas déplaisants mais un peu éteints et insipides au milieu de la grande foire du glam. Toujours en activité aujourd’hui, revenus sur leurs bases R’n’B, les Pretty Things ne sont plus que de vieilles choses moches qui expurgent les dernières étincelles d’une légende. Ce coffret est en revanche un feu d’artifice.
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