Victime d’un racisme implacable trop vieux pour chanter la pop, pas assez sexy pour les paillettes , Martin Newell est condamné à voyager seul et en classe vermeil dans le train de la brit-pop. Dommage pour ses chansons régulièrement magnifiques et pour son nouvel album, The Off white album, qui pourrait donner aux jeunes […]
Victime d’un racisme implacable trop vieux pour chanter la pop, pas assez sexy pour les paillettes , Martin Newell est condamné à voyager seul et en classe vermeil dans le train de la brit-pop. Dommage pour ses chansons régulièrement magnifiques et pour son nouvel album, The Off white album, qui pourrait donner aux jeunes prétendants de sérieuses leçons d’écriture et de panache.
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Un lundi glacial de février, une armée frigorifiée de photographes et de badauds se presse au terminal parisien de l’Eurostar. Chacun s’est donné pour mission de saisir au vol l’image d’une grande figure du rock dont quelques imbéciles ont prétendu qu’elle était l’incarnation moderne de John Lennon. Lenny Kravitz arrive, rigoureusement encerclé de gardes du corps, à peu près aussi caricatural en rock-star que l’Oncle Bens en chanteur de gospel. Personne, parmi les papillons surexcités qui tentent d’approcher cette fausse lumière divine, ne se doute que l’âme de Lennon, si elle a survécu à son propriétaire, coule des jours ordinaires sous la coiffe pouilleuse d’un autre passager du train.
Martin Newell, rigoureusement encerclé par personne, arpente à son tour le quai devenu subitement plus calme, sa vieille guitare glissée à la hâte dans un sac poubelle, et sur ce long couteau gris qui lui sert de visage, cet air résigné de ceux qu’on n’attend pas. Fichue balance que celle de la justice du rock, où le poids des paillettes vaut mieux que celui des chansons, où les clichés de plomb ont raison des plus fines plumes. Martin Newell est pourtant le dernier à s’en formaliser. « Les choses ont évolué très lentement pour moi. J’ai 40 ans et j’ai passé une bonne moitié de ma vie à faire de la musique sans récolter le moindre succès. S’il y a maintenant quelques types dans les maisons de disques qui reconnaissent mes qualités de songwriter, ils regrettent en même temps que je sois aussi âgé. Je crois que j’écris des chansons pop commerciales mais je suis exclu de par mon âge de la scène pop anglaise : même en me donnant toutes les peines du monde pour promouvoir mon disque, je crois que je n’aurais aucune chance de devenir populaire comme Blur, Oasis ou Supergrass. Je ne vais pas me mettre à vouloir les concurrencer, ce serait ridicule. Par contre, je me réjouis que cette façon typiquement anglaise d’écrire des chansons ait bénéficié d’un tel renouveau ces derniers temps. »
Véritable Quasimodo hantant la cathédrale des Kinks, Hollies ou Zombies, Martin Newell avait déjà montré il y a deux ans avec The Greatest living Englishman un attachement presque mystique pour cette grammaire chaleureuse et conviviale de la pop. Mais le miracle le plus extraordinaire était que d’un tel corps maigre et fatigué parvienne à s’extraire une voix en si parfaite santé, que la plupart d’entre nous entendirent là pour la première fois. « Ce premier album solo marquait un retour pour moi dans l’industrie du rock. Je n’avais pas enregistré le moindre disque depuis des années, mais j’étais devenu entre-temps un poète assez populaire. Un poète pop, pourrait-on dire. J’éprouvais alors un plaisir presque adolescent à voir de nouveau mon nom écrit dans la presse musicale, alors qu’étaient réédités les vieux titres des Cleaners From Venus, mon vieux groupe. Toutes ces choses arrivaient au même moment, je me rendais compte que ce que j’avais fait auparavant n’était pas si mal, que mes nouvelles chansons valaient le coup elles aussi et que je n’étais donc pas tout à fait mort. » Ce goût retrouvé pour la confection artisanale d’une musique dont le seul objet est, selon lui, « d’offrir du bonheur aux gens » ne quittera plus dès lors Martin Newell. Un maxi, Let’s kiosk, l’an passé, puis ce tout nouveau Off white album sont venus étoffer la galerie des portraits de l’Angleterre superficielle les comportements des stars du showbiz dans The World of Dandy Leigh ou profonde l’ancienne universitaire devenue clocharde schizo dans Call me Michael Moonlight , miroir à deux faces dans lequel il hésite lui-même à se regarder. « Dans mon petit village de l’Essex, personne ne me considère comme un chanteur. Il m’arrive de croiser des gens qui s’étonnent que je puisse enregistrer des disques. « Tu nous en donneras un à l’occasion ? » Et si je leur réponds qu’ils peuvent aller l’acheter, ils sont surpris : « Ah bon, parce qu’il y en a dans les magasins ? » Ici, je poursuis de temps à autre mon ancienne activité de jardinier. L’autre jour, deux jeunes touristes italiennes ont débarqué et m’ont reconnu. « Vous êtes Martin Newell ? Mais qu’est-ce qui vous prend de tailler des arbres ? » « Oh rien, j’entretiens le jardin d’un ancien professeur de mathématiques qui est trop vieux pour s’en occuper. » Elles ont eu l’air éberluées. Ma vie est ainsi faite de choses simples, d’oisiveté et de travaux manuels : l’an passé, à l’automne, j’ai même brassé de la bière dans ma cuisine. Une bière honnête, baptisée « Newell’s liquid therapy ». Je pensais à cette chanson des Beach Boys, Disney girls (il chante) : « Happy times, making wine in my garage… » C’était finalement assez sentimental comme activité, mais la cuisine empestait le houblon ! » Complètement inconnu chez lui, Newell s’est en revanche taillé une réputation enviable aux Etats-Unis et surtout au Japon, où son nom est venu grossir la liste des anglomaniaques excentriques dont les jeunes Nippones raffolent, tels ses deux producteurs successifs : Andy Partridge (XTC) et Louis Philippe. « Je reçois des lettres très étonnantes, qui témoignent de l’importance de mes chansons dans la vie de certaines personnes. Cela avait le don d’agacer mon ex-copine, qui était très cynique. « Je vis avec un type qui reçoit des lettres de fans », se moquait-elle. Mais il faut les voir ces lettres : de jeunes gens qui me remercient de les avoir bouleversés à travers une mélodie. Tout juste si ce ne sont pas des choses du genre « Grâce à vous, ma vieille mère handicapée marche à nouveau ; ma nièce de 10 ans qui était aveugle a recouvré la vue » (rires)… C’est parfois assez effrayant, j’ai l’impression d’être un guérisseur, une espèce de vieux sorcier à qui l’on s’adresserait pour sauver des cas désespérés. » Des formules de jouvence et autres secrets d’alchimiste, The Off white album en contient assez pour venir encore en aide à trois générations de nécessiteux : ballades au fort parfum d’une campagne sauvage, contes de fées musicaux où Julie Andrews valse avec Colin Blunstone, jusqu’aux Smiths, que Newell reprend Some girls are bigger than others en s’excusant : « Je voulais voir si j’étais capable de saccager aussi les chansons des autres. » Mais si l’élixir est le même, le flacon a subi un léger toilettage. « Lorsque Andy m’a annoncé qu’il ne pourrait produire cet album parce qu’il était trop occupé par XTC, on m’a suggéré le nom de Louis Philippe, que je connaissais bien. Je suis très heureux du traitement qu’il a apporté : le son général est plus organique que sur le premier et même Andy le trouve plus réussi. Pourtant, nous n’avons passé que vingt-trois jours en studio, dans une atmosphère très détendue, sans jamais subir la moindre pression. Nous avons même utilisé de vraies cordes, ce qui était pour moi un rêve impossible. C’est étonnant que Louis ne soit pas mieux reconnu chez lui, en France : il sera à mon sens l’un des producteurs importants des dix prochaines années, même s’il ne perce pas en tant que chanteur. C’est un garçon vraiment intelligent, capable de recréer toutes sortes d’atmosphères, et sa présence est très rassurante. Comme cadeau, je lui avais apporté cette chanson, Miss Van Houten’s coffee shop, pour qu’il s’amuse à retrouver ce son des Beach Boys qui le fascine tant. Je dois dire que le résultat m’a époustouflé : on croirait que Brian Wilson est venu se perdre dans un coin de l’Essex. Très émouvant. » Le nom de l’album, qui devait être à l’origine Cupid toothpaste, nom imaginé par Newell pour qualifier la semence mâle, fait figure d’ultime clin d’œil : « Avec Andy Partridge, nous nous sommes amusés à détourner des titres d’albums des Beatles. Il y avait Please, please yourself ; Without the Beatles ; Not for sale et j’ai finalement trouvé The Off white album assez spirituel pour le garder. Cupid toothpaste, c’était bien, mais les journalistes m’auraient posé tellement de questions tordues à ce propos que nous n’aurions sans doute jamais eu le temps de parler de musique. »
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