Sixième album de Gorillaz seulement un an après Humanz, le tout neuf The Now Now est un grand disque introspectif, traversé par le génie de Damon Albarn et la patte de Jamie Hewlett qui, de passage à Paris, nous ont ouvert les portes de ce petit chef-d’œuvre.
Gorillaz ne nous a pas entourloupés, cette fois. Reine du contrepied, de la grimace et de la farce – et autres attrapes –, la bande (son et dessinée) emmenée par Damon Albarn et Jamie Hewlett est bien de retour moins d’un an après son cinquième essai, Humanz, avec un nouvel album appelé cette fois The Now Now.
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Lorsqu’on les avait rencontrés pour Humanz, à Londres, en 2017, lors d’un concert VIP qui rassemblait sur scène De La Soul, Jean-Michel Jarre, Pusha T, Benjamin Clementine et même Noel Gallagher (venu le froc baissé comme jamais, on imagine, même si la rivalité entre l’ex-leader d’Oasis et celui de Blur n’a plus le fumet savoureux des années 1990), Albarn et Hewlett nous avaient clairement laissé entendre que les cartons étaient pleins de projets – et que des nouvelles étaient à attendre dès 2018. C’est en mars de la même année qu’Albarn annonçait que le nouveau projet était définitivement ficelé, et qu’il lançait en live, au Chili, le titre intitulé Hollywood réunissant la légende de la house Jamie Principle et celle de la weed et du rap, j’ai nommé Snoop Dogg.
L’absence surprise de Murdoc
Le 25 mai 2018 tombait sur nos téléscripteurs le teaser de l’album à venir. Et là, badaboum, surprise, si l’on retrouve bien au clavier et au chant 2D, Russel Hobbs à la batterie et Cyborg Noodle qui supplée Noodle depuis Plastic Beach dans une version cyborg (au chant et clavier), aucune trace de Murdoc, remplacé par un dénommé Ace. Alors bien sûr, évidemment, c’est la première question qu’on pose aux deux géniteurs de ce Spinal Tap en 3D, qui régale virtuellement – et pas que – depuis le début des années 2000.
Jamie Hewlett, cool et hilare : “Oh tu sais, Murdoc a un peu déconné, il est en taule pour une sombre histoire de contrebande, alors il a fallu le remplacer sur ce disque au moins. Mais tu vas voir, tu vas aimer Ace, il a ses qualités.” Interrogé plus tard (car les deux n’accordent plus d’entretiens ensemble pour cause de vannes successives et de journalistes qui ne savent plus quoi en faire), Damon Albarn fournira la même version. Voilà pour l’explication de ce mini-bouleversement de casting, passons maintenant à la musique.
Alors que Gorillaz nous avait habitués à pléthore d’invités sur ses disques précédents, cette fois la portion est congrue. Il y a tout de même le grand George “Give Me the Night” Benson sur le titre d’ouverture Humility
Alors que Gorillaz nous avait habitués à pléthore d’invités sur ses disques précédents, cette fois la portion est congrue. Il y a tout de même le grand George “Give Me the Night” Benson sur le titre d’ouverture Humility (on peut depuis quelques jours voir le clip du morceau tourner sur le net, dans lequel on retrouve ce génie de Jack Black, plus débilos que jamais en gratteux totalement idiot du village), et comme dit précédemment, Jamie Principle et Snoop, donc.
Mais pour le reste, plus personne, “pupers” comme disent certains jeunes. On a eu beau écouter le disque en boucle, on n’a pas reconnu âme qui chante, si ce n’est ce bon Damon. Même George Benson, grosse prise de The Now Now, n’a pas eu l’occasion de rencontrer les deux gandins anglais, comme l’explique Damon Albarn : “Il était très pris et moi aussi, alors nous nous sommes présentés par téléphone, nous avons longuement parlé musique, et tout s’est passé par fichiers interposés. C’est assez troublant de se dire ça, mais c’est aussi ce qui est excitant dans ce projet.”
“Un de nos disques les plus généreux”
Quatre garçons pleins d’avenir, et un chiffre qui rappelle celui dont sont composés la majorité des groupes de rock et de pop. Un signe ? Damon Albarn : “Non, je ne crois pas. Gorillaz a été inventé justement pour dépasser ce format. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi de bosser avec James Ford sur cet album, j’adore ce qu’il fait pour Arctic Monkeys, il sait gommer sur ses productions les vieux atours du rock et de la pop, pour rendre cette musique si moderne. Il a été capital sur ce disque.”
Alors les gars, la fête est finie ? Gorillaz, qui était une sorte de teuf à disque ouvert, est-il devenu une réunion d’anciens combattants ou de vieux zigs quinquagénaires ? Jamie Hewlett, toujours hilare, prend la parole : “Ah non, c’est juste que les liens se resserrent, je pense, que le projet existe par lui-même de plus en plus. C’est vrai qu’il y a eu peu de monde dans l’équipe sur ce coup. Damon et moi, Remi Kabaka dont le rôle est toujours très important, et James Ford à la production” (producteur entre autres des Arctic Monkeys ou de The Last Shadow Puppets, et grand artisan de Simian Mobile Disco, qui opère un retour en force ces dernières semaines – ndlr).
Jamie Hewlett, moins catégorique : “Qu’est-ce que tu as contre le chiffre ‘quatre’ ? (rires)… Les Clash étaient quatre, et chacun avait son importance. Joe Strummer, Mick Jones, Paul Simonon et Topper Headon, what else ? C’est la combinaison idéale, quatre ! Après, je ne pense pas que nous nous renfermions du tout sur quoi que ce soit, au contraire, je pense que le travail n’a jamais été aussi fluide entre moi et Damon, et que jamais nous n’avions, même en comité restreint, autant ouvert les portes aux gens qui bossaient avec nous, comme James et Remi. Dans sa conception, c’est un de nos disques les plus généreux, il me semble.”
A travers les lieux de l’Amérique
Un disque généreux, mais qui, sans vouloir chercher la petite bête, sonne par endroits comme la continuation possible du fantastique premier essai solo de Damon Albarn, si on laisse tomber le décorum Gorillaz et les petits personnages qui le peuplent. “Non, c’est un album de Gorillaz, un vrai album de Gorillaz, interrompt Damon Albarn. Mais c’est vrai que j’ai écrit et enregistré certains titres lors de la tournée Humanz de 2017 aux Etats-Unis, et que certains étaient inspirés par de vrais moments d’introspection. Peut-être qu’on retrouve ça sur certains morceaux…”
Effectivement, lorsqu’on écoute précisément The Now Now, on ne peut s’empêcher de penser à une traversée cotonneuse de l’Amérique de Trump. Au milieu de morceaux plus fun (le très Buggles Tranz, l’infectieusement groovy Sorcererz, le brillant Humility), certains titres nous offrent même des points de chute assez précis. Hollywood, bien sûr, avec son demi-soleil, mais aussi Kansas avec son beat bouleversant, Idaho, qui n’aurait pas dépareillé dans la BO du My Own Private Idaho de Gus Van Sant, ou encore l’instrumental endolori Lake Zurich, qui évoque un Illinois parfois aussi inquiétant que celui chanté entre les lignes par Sufjan Stevens. Et les titres de fin, qu’on ne parvient pas forcément à placer sur une carte de l’Oncle Sam (Magic City, Fire Flies, One Percent, Souk Eye), tiennent eux plus clairement d’un curieux ride sous acide dans la Vallée de la mort que d’un quelconque spring break.
Loin devant les Gallagher, devenus de sombres baudruches, le grand Damon n’a désormais plus qu’un rival, et il se nomme Alex Turner
Bref, un disque assez génial, d’une grande beauté plastique et intérieure, un de plus signé par l’Anglais le plus doué de sa génération, dont l’empreinte ne cesse de s’accroître sur la musique mondiale, à un moment où la pop, dont il est glorieusement issu, semble marquer le pas. Loin devant les Gallagher, devenus de sombres baudruches, le grand Damon n’a désormais plus qu’un rival, et il se nomme Alex Turner.
Ces morceaux, Albarn et Hewlett comptent les intégrer dans la tournée en cours de Gorillaz via un moment spécial qui pourrait s’intituler “The Now Now Time”, et qui verra le nouveau disque du duo prendre le pouvoir quelques minutes dans la scéno en place. Albarn : “Quelques morceaux ont déjà pu apparaître sur scène, mais je suis impatient de les voir vivre les uns à côté des autres dans un moment particulier.” Hewlett conclut : “Ce sera un temps précis du live, un moment cool qui viendra comme une surprise dans le live, surtout pour les fans de Gorillaz.”
Album The Now Now (Parlophone/Warner), sortie le 29 juin
Concerts Le 21 juillet à Carhaix (festival des Vieilles Charrues), le 22 à Paris (festival Lollapalooza)
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