Groupe rare, The Notwist revient avec un très grand album qui redessine plus finement encore ses équilibres précieux, entre technologie et chair, entre rage et désespoir. Rencontre et critique.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Fin janvier au Divan du Monde, à Paris. Déjà bondée, la salle va craquer de plaisir. Vieux héros de l’indie-pop du futur, notamment depuis l’inaltérable Neon Golden de 2002, The Notwist est de retour après une longue absence, le précédent The Devil, You + Me datant de 2008. Sur scène, barbus et chevelus, les Allemands s’activent avec hardiesse, précision et rage sur leurs anciens morceaux comme sur ceux du nouveau Close to the Glass.
La vision d’un détail, cependant, frappe d’emblée plus que celle de l’ensemble : entre les guitares, synthétiseurs, batteries, ordinateurs, amplis ou micros, aux côtés de son frère et chanteur Markus Archer, Michael lance une partie des rythmes ou séquences avec les manettes d’une console Wii. Une machine prolongeant le corps, l’excroissance technologique des idées humaines : la chose n’est certes pas nouvelle pour le groupe, pas plus que pour la théorie ou l’histoire culturelle, mais résume parfaitement l’apport des Allemands.
Humains, trop humains
Golem de chair et de bits, The Notwist est un hybride, un homo-sapiens-digitalum qui se promène depuis toujours et dans le même instant au cœur du Blade Runner de 1982, du Matrix de la fin des années 90 et dans un aujourd’hui qui, jadis, ressemblait à après-demain.
“Sur Signals, qui ouvre Close to the Glass, nous avons essayé d’imaginer, en termes de son, ce que peut être la vie d’un être humain dans les limites de cet univers digital, de ces réseaux informatiques qui sont désormais le prolongement de son monde physique”, explique ainsi Markus.
Sciences dures et sentiments mous, motifs anguleux de carte-son et arabesques imprécises de la mélancolie, spleen gris et déflagrations électriques : la pop à émotions variables de The Notwist a toujours cherché à dessiner l’univers sonore de l’homme moderne. Une recherche des équilibres multiples qui approche un peu plus de la perfection avec Close to the Glass, tout autant teintée par la maniaquerie des expérimentations soniques (deux ans ont été nécessaires pour bâtir l’album, le groupe chamboulant intégralement ses chansons de nombreuses fois avant de trouver leur forme finale) que par la vie elle-même.
“Vers la fin de l’enregistrement de The Devil, You + Me, nous avons traversé quelque chose de très dur. Un ami proche est tombé très malade puis est mort : nous avons concrètement été confrontés au fait que l’on marchait en permanence sur un chemin plein de cahots, que les accidents pouvaient survenir à n’importe quel moment, ça a marqué notre écriture. Je me suis depuis également beaucoup intéressé au travail de Wallace Berman, un artiste américain qui, à Los Angeles dans l’après-guerre, transposait ses idées dans des collages où se confrontaient des éléments issus de sources très diverses. J’ai aussi redécouvert l’album Fantasma du Japonais Cornelius : il y a sur ce disque, comme sur Odelay de Beck ou Hello Nasty des Beastie Boys, la même esthétique de collage et de chansons évolutives, le désir de jouer avec les styles, les époques, les histoires, les ambiances, tout en restant dans un cadre plutôt pop. Une forme brisée de pop-music : Close to the Glass correspond bien à cette définition.
Un album aux désirs écartelés
Enchaînés l’un à l’autre comme on passe de l’outre-espace aux hautes couches de l’atmosphère, en flammes donc, deux morceaux résument parfaitement le déroulement, à l’imprévision magnifique, de ce grand album. Close to the Glass et son krautrock blême et électronique aux mille feuilles concassées, triste et mélodique, plonge sans pause dans le magma de Kong, tube rock évident au riff monstrueux, qui pourrait être un morceau des Pixies.
A eux deux, et évidemment avec ceux, horizons et sentiments mêlés, qui les accompagnent (les sobres et beaux Casino ou Steppin’ in, les torsades des mélangés Into Another Tune et From One Wrong Place to the Next, le dédale triste de Run Run Run ou la très Caribou Lineri), ils constituent la version 3.0 de The Notwist. Donc une certaine idée, plus raffinée que jamais, de l’humanité.
Un être plein de force et de bugs, de désirs de perfection comme de peurs mal dessinées, son impression de toute-puissance technologique contredite par la faillibilité de ses organes. “Le moment où les choses ne fonctionnent pas comme elles le devraient est selon moi le plus intéressant”, explique Archer. Sur Close to the Glass, rien ne tourne parfaitement rond : tout est donc parfaitement passionnant.
Concerts le 11 mars à Lyon, le 12 à Nantes, le 13 à Paris (Maroquinerie), le 14 à Lille, le 19 à Bruxelles
{"type":"Banniere-Basse"}