Mémoire vive. Retour nostalgique sur la musique engagée du Liberation Music Orchestra, entre chants militants et airs populaires. C’était en 1989, dix ans déjà ! Le Festival de jazz de Montréal avait offert au contrebassiste Charlie Haden la folle liberté de réunir l’espace d’une semaine l’ensemble de sa famille musicale en une sorte de panorama […]
Mémoire vive. Retour nostalgique sur la musique engagée du Liberation Music Orchestra, entre chants militants et airs populaires.
C’était en 1989, dix ans déjà ! Le Festival de jazz de Montréal avait offert au contrebassiste Charlie Haden la folle liberté de réunir l’espace d’une semaine l’ensemble de sa famille musicale en une sorte de panorama subjectif d’une carrière riche et mouvementée : huit concerts, huit instantanés, huit figures de style une sorte d’état des lieux en somme, esthétique et personnel, à la fois bilan et perspective d’un parcours majeur et particulièrement cohérent dans le paysage éclaté du jazz libre des années 60-70… En point d’orgue de cette manifestation, c’est finalement au Liberation Music Orchestra qu’a incombé la tâche de conclure et donc d' »ouvrir » sur l’avenir, pour échapper au tombeau. C’est ce document que publie Verve aujourd’hui. Pour qui ignorerait tout de la carrière de Charlie Haden, le Liberation Music Orchestra est un orchestre charnière à la fois dans le parcours personnel du contrebassiste (c’est sa première expérience de leader) et plus généralement dans l’histoire politique et stylistique du free-jazz.
Créé en 1969, l’espace d’un disque éponyme paru sur Impulse!, en tous points historique (arrangements ironiques et acidulés de Carla Bley, solistes remarquables Don Cherry, Dewey Redman, Gato Barbieri…), il n’a cessé de ressusciter au fil du temps, une première fois en 1982 (The Ballad of the fallen) puis en 1990 (Dream keeper), sans jamais perdre de vue son horizon idéologique et ses aspirations esthétiques, continuant inlassablement de puiser son matériau dans le vaste répertoire des chants militants et politiques du monde entier : chansons de la guerre d’Espagne, de la Révolution portugaise, des luttes du Salvador, du Chili, ou encore d’Afrique du Sud. Autant de thèmes d’une simplicité mélodique, pour la plupart issus déjà de détournements d’airs folkloriques ou autres chansons d’amour populaires, qui sont resongés, retravaillés par le génie orchestral de Carla Bley, au prisme du jazz, de ses valeurs d’autonomie et de liberté.
Entre fureur et tendresse, le Liberation Music Orchestra a toujours su ainsi s’ancrer dans un imaginaire musical inédit, en renouvelant chaque fois son approche, passant insensiblement d’un souffle révolutionnaire à un lyrisme nostalgique empreint d’une ineffable mélancolie. C’est précisément cette impression qui domine ici, d’une musique apaisée, toujours aussi expressive et d’une certaine manière engagée, mais moins dans la lutte que dans une mémoire partagée. Les mélodies sont toujours aussi sublimes, les arrangements élégants et légers privilégiant des jeux de timbres en clair-obscur, les solistes inspirés (notamment Geri Allen et Tom Harrell), mais l’histoire est passée, les couleurs ont viré au sépia. C’est peut-être ce sur quoi cette semaine canadienne aura ouvert finalement : la nostalgie. Depuis, la musique d’Haden n’en finit plus d’être hantée par ses fantômes.
Charlie Haden, Montreal tapes - Liberation Music Orchestra (Verve/Polygram)
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}